Vivre dans un immeuble connecté
Dans nos vies de plus en plus connectées, les écrans sont déjà loin d’être les seules interfaces qui nous relient au réseau. Avec l’explosion annoncée de l’internet des objets, ce sont bientôt tous les objets du quotidien, de la voiture au compteur électrique en passant par la chaudière ou le frigo, qui récolteront constamment des données pour nous aider à mieux consommer. La révolution est en marche, et elle se matérialise déjà dans les immeubles connectés.
Chez 3F, un immeuble en cours de construction rue Marcadet, dans le 18e arrondissement de Paris, aura ainsi des compteurs de consommation (eau, électricité, gaz, chauffage, eau chaude) connectés, de même que les organes techniques des bâtiments (caisson de ventilation, ascenseur, chaudière à gaz, etc.). Julien Guillemont, directeur de l’agence de construction Île-de-France chez 3F, explique : « pouvoir suivre les consommations des bâtiments à distance, c’est un vrai sujet d’actualité et c’est en ligne avec la réflexion que nous menons en ce moment sur notre stratégie de développement durable. Ça aurait été trop bête de passer à côté. » Connecter son immeuble, cela demande un peu d’investissement et de se poser quelques questions pratiques. Mais comme il le résume, « techniquement, il n’y a pas de limites, on peut faire tout ce qu’on veut ! » Le plus important avant de se lancer, c’est donc peut-être d’explorer toutes les possibilités.
Au service des locataires
Il s’agit tout d’abord d’identifier un besoin ou une opportunité. Dans le cas de l’immeuble du 18e arrondissement, c’est arrivé par une rencontre avec la start-up Intent Technologies, opérant dans une plateforme de services pour le bâtiment connecté. Avec eux, l’agence de construction d’Île-de-France explore les débouchés dans le logement, et décide de lancer ce projet pilote à Paris. « C’était intéressant pour nous d’avoir un volet dédié aux locataires. On a connecté les compteurs de consommation des logements, qui enverront les données à Intent Technologies. Ensuite, via une application mobile, la locataire ou le locataire aura accès à ses informations de consommation personnelle, son historique, une anticipation de ses factures, etc. » À terme, il sera probablement possible de découper la consommation en grands « blocs » : les appareils électroménagers, l’eau chaude, l’éclairage, etc. L’idée, en permettant aux résidents de mieux visualiser ce qu’ils consomment, est de les aider à réduire leur empreinte énergétique et donc leurs factures. Les panneaux solaires prévus pour préchauffer l’eau seront également reliés au réseau, ce qui permettra de chiffrer les économies d’énergie réalisées. Enfin, les organes techniques seront aussi connectés, cette fois pour en faciliter la maintenance : si une machine peut prévenir elle-même qu’elle a besoin d’être révisée et réparée, cela évite aux prestataires de service les nombreux déplacements qu’ils effectuent pour vérifier que tout va bien. Une économie substantielle pour eux. À tout cela s’ajoutera une dimension communautaire, grâce à l’application mobile qui fournira un espace de forum pour les résident·e·s, ce qui leur permettra d’échanger objets et services.
L’enjeu pour 3F désormais, comme pour n’importe quelle initiative de la sorte, est de voir si ça « prend ». « Il nous faut d’abord nous assurer que cela fonctionne techniquement et que les locataires vont bien consulter les données. Il est important d’accompagner, d’avoir une équipe de proximité investie qui pousse les locataires à utiliser le service. Si ça marche, nous pourrons le développer », espère Julien Guillemont. Le gardien ou la gardienne en charge de montrer l’appartement-témoin aux potentiel·le·s résident·e·s fait d’ailleurs sa visite tablette à la main, pour leur montrer comment fonctionne le système. Et au sein du groupe, quelques initiatives similaires se développent déjà, comme dans le 17e arrondissement, dans la ZAC Clichy Batignolles où un chantier en construction se voit imposer un suivi énergétique des bâtiments et sera donc vraisemblablement doté du même type de dispositifs.
Connecter les vieux immeubles aussi bien que les neufs
Et pour l’ancien ? S’il est techniquement possible de faire ce que l’on veut dans des bâtiments existants (« il suffit de rajouter des sondes et des capteurs et de connecter tout ça à Internet », résume Julien Guillemont), cela représente un investissement plus difficile à amortir que dans le cas d’une construction neuve, où l’on peut faire des économies ailleurs. Chez Immobilière Podeliha, filiale de 3F, un bâtiment a été réhabilité avec des thermostats d’ambiance connectés développés par la start-up nantaise Qivivo, qui augmentent ou baissent le chauffage tout seuls en fonction de l’occupation des appartements. Un exemple qui permet d’entrevoir les possibilités offertes par la technologie, des détecteurs de présence pour baisser le chauffage quand personne n’est là aux systèmes qui éteignent les radiateurs dès qu’on ouvre la fenêtre. « Dans un bâtiment connecté, au-delà du fait que les éléments peuvent transmettre de l’information “brute” sur Internet, ils peuvent également communiquer entre eux », s’enthousiasme Julien Guillemont.
Mais cette masse de possibilités oblige aussi à l’irréprochabilité de la protection des données, pour respecter la vie privée des locataires. Chez Intent Technologies, les données sont ainsi toutes cryptées et 3F n’aura pas accès au détail des consommations foyer par foyer, mais à des chiffres moyennisés sur l’ensemble du bâtiment. C’est une condition indispensable de la confiance entre bailleur·e et locataires, qui donnera envie à ces dernier·ère·s d’utiliser les éléments mis à leur disposition pour mieux consommer.
Reste la question du prix : pour ce projet pilote, 3F a décidé de prendre à sa charge l’abonnement annuel de connexion au réseau facturé par Intent technologies, plutôt que de faire payer le service aux locataires. Si le système se généralise, Julien Guillemont prévoit déjà qu’il faudra « redéfinir et renégocier les choses ». En attendant, il espère que l’idée séduira les habitant·e·s de la rue Marcadet, ce qui ouvrira peut-être la porte à d’autres immeubles connectés.