Vers une financiarisation du logement social en France ?
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A l’instar de ses voisins européens, la France est regardée pour ses difficultés à répondre aux besoins en matière de logements sociaux dans les grandes métropoles. De quoi aiguiser l’appétit de la finance ?
« Non à la financiarisation du logement social », c’est le titre d’une tribune signée en 2020 par Jean-Christophe Cambadelis, ancien premier secrétaire du Parti socialiste ; Emmanuelle Cosse, présidente de Coallia Habitat, ancienne ministre du logement – devenue depuis lors présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat – et Abraham Johnson, avocat, président de Valophis Habitat. Pour les cosignataires, le but inavoué de la loi Elan* du 23 novembre 2018 serait de financiariser le modèle français du logement social. La financiarisation du logement social, menace ou opportunité ? Radar fait le point.
Un modèle à bout de souffle ?
Louer un logement n’a jamais coûté aussi cher qu’en 2020, selon une étude de SeLoger. Les loyers auraient enregistré une hausse de 5,4 % en moyenne en France en 2020. Une hausse qui se poursuit depuis plusieurs années. Dans ce contexte, difficile de se loger pour les plus précaires. Actuellement, un tiers des ménages ne sont pas propriétaires et peuvent prétendre à un logement social compte tenu de leurs revenus. Et fin 2019, on estimait à 2,1 millions les demandes de logements sociaux non encore pourvues.
A Paris, épicentre de la problématique du manque de logements sociaux, 250 000 ménages seraient sur les rangs pour obtenir un logement social. Face à la cherté des loyers, Paris se vide des personnes les plus modestes. « Un exode régulier d’environ 12 000 personnes par an, alors que la capitale en gagnait 13 700 entre 2006 et 2011 », indique Le Parisien, notamment à cause des prix élevés de l’immobilier. En face, la municipalité se bagarre toujours contre Airbnb qui aurait un effet sur l’envolée des prix des loyers, ce qu’affirme l’association Droit au Logement.
Comment construire plus, mieux et moins cher ?
Dans ce contexte, les pouvoirs publics, tant au niveau national que local, tentent de trouver la martingale pour réussir à loger tout le monde. Mais sans surprise, libérer les forces et provoquer un choc d’offre quand l’argent se fait de plus en plus rare relève du casse-tête. Parce qu’il s’agit bien de doper les fonds propres des bailleurs sociaux pour développer la construction de logements qui manquent tant à notre pays. Mais où trouver cet argent ?
Début 2019, Bercy et le ministère de la Cohésion des territoires se tournent vers l’Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) pour plancher sur le sujet.
Face à la hausse des coûts de construction, à la baisse des subventions publiques et à la réduction du loyer de solidarité, il est vrai que l‘équilibre financier des nouvelles opérations de logement social est de plus en plus difficile à trouver, alors même que les objectifs de construction et de rénovation demeurent ambitieux…
Les idées pour la diversification des sources de financement du logement locatif social sont sur la table.
Dans ce rapport très attendu remis fin 2019, on y trouve ainsi pêle-mêle cessions en bloc à des investisseurs, démembrement de propriété, souscription par les collectivités de titres émis par leur OPH, création d’un véhicule d’investissement ad hoc et statut de « foncière d’habitat social accessible sur option », entrée de nouveaux investisseurs au capital des ESH et SEM… Bref, les idées pour « la diversification des sources de financement du logement locatif social » sont sur la table.
Les zinzins à la rescousse du logement social ?
L’enjeu ? Explorer les moyens pour que les banques, les fonds privés, et autres assureurs… ceux qu’on appelle les investisseurs institutionnels, les fameux « zins-zins », puissent financer des programmes de logement sociaux. Par exemple, par l’intermédiaire de fonds d’investissements à l’image de ce qui avait été inventé en 2014. A l’époque, la filière logement de la Caisse des dépôts avait lancé un fonds d’investissement qui regroupait plusieurs investisseurs dont BNP Paribas Cardiff, Aviva France, Malakoff Médéric ou encore EDF Invest. Appelé FLI, ce fond a vocation à financer la construction des logements intermédiaires (à mi-chemin entre le logement social et le logement privé) dans des zones tendues.
De la difficulté de « financiariser » du but non lucratif…
Aussitôt livré et déjà dans les tiroirs le rapport de l’IGF et du CGEDD ? « Nous ne modifierons pas les règles qui préservent le capital des HLM », a ainsi déclaré sur Twitter Julien Denormandie, alors ministre du Logement. Et pour cause, les ponctions successives dans les réserves financières des bailleurs sociaux et d’Action Logement pour financer la baisse des APL ont fini par susciter la méfiance du secteur. Un secteur qui ne cesse de rappeler sa dimension sociale, territoriale, sa solidité et sa résilience.
Mais pas de quoi réfréner les ardeurs des « zins-zins », qui n’ont certainement pas dit leur dernier mot, notamment face à la baisse d’attractivité du marché des bureaux liée à la crise du Covid.
Fluctuat nec mergitur, le bateau tangue mais ne coule pas, cette devise de la Ville de Paris s’adapte fort bien au logement social en France et en Europe
Ce mandat présidentiel ne signera probablement pas la refonte du modèle français du logement social. Et dans un contexte social particulièrement tendu, il est difficile de provoquer le débat. Mais l’équation, elle, demeure. Comment réformer son modèle pour garantir sa pérennité et sa mission d’intérêt général sans tomber par exemple dans les dérives du modèle allemand, privatisant le logement social et de témoigner, notamment à Berlin, d’une forte augmentation des loyers. « Fluctuat nec mergitur, le bateau tangue mais ne coule pas, cette devise de la Ville de Paris s’adapte fort bien au logement social en France et en Europe », écrivait en 2011 Philippe Villain dans sa thèse sur l’évolution et l’avenir du logement social. Oui, mais jusqu’à quand ?