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Steven Beckers : « La notion de déchet devrait disparaître »

 

L’architecte belge Steven Beckers travaille selon les principes de l’économie circulaire, qui veut que chaque produit soit conçu avec en tête sa fin de vie. Objectif : zéro pollution, zéro déchet. Aujourd’hui à la tête de l’agence de conseil Lateral Thinking Factory, Beckers est l’un des rares architectes accrédité·e·s « Cradle to Cradle » (« du berceau au berceau »), une distinction attribuée par le chimiste allemand Michael Braungart et l’architecte américain William McDonough, qui ont conceptualisé le C2C au début des années 1990. Steven Beckers nous détaille ce nouveau modèle économique.

 

Photo de Steven Beckers et de l’économie circulaire

 

Quels sont les critères pour un bâtiment Cradle to Cradle ?

Un bâtiment tout à fait C2C n’existe pas et n’existera sans doute jamais ; il y a des compromis à faire. Le principal enjeu, c’est de préserver les ressources naturelles en prévoyant leur sur-cyclage, c’est-à-dire qu’au lieu de perdre de leur valeur quand elles seront recyclées en fin de vie, elles en gagneront. Il faut donc que les bâtiments puissent être désassemblés et non démolis, qu’on puisse facilement séparer ce qui est issu du cycle biologique et ce qui est issu du cycle technologique. C’est un aspect assez facile à intégrer si nous y pensons dès le départ, nous aurions d’ailleurs dû y penser il y a cent ans ! Aujourd’hui, nous nous focalisons beaucoup sur la question du déchet sans chercher à ne pas en générer au départ. En réalité, la notion de déchet même devrait disparaître.
Une autre dimension importante du C2C, c’est la santé humaine. Tout ce que nous faisons, c’est pour les femmes et les hommes ! Nous analysons jusqu’aux molécules pour éviter toute toxicité pour les humain·e·s et pour l’environnement, à chaque étape du processus.
Il s’agit aussi de favoriser la diversité sociale et culturelle : les monocultures, ce n’est pas bon en agriculture, ça ne l’est pas non plus en architecture. Et nous utilisons uniquement les énergies renouvelables.

 

Le C2C est-il une démarche biomimétique, c’est-à-dire qui imite la nature ?

Il y a une expression que j’aime bien : « Buildings like trees, cities like forests » (Les bâtiments sont comme des arbres et les villes comme des forêts). Le métabolisme des bâtiments doit se rapprocher de celui d’un arbre, qui produit de la nourriture et enrichit le sol, génère un micro-climat, fournit de l’habitat, contribue à la gestion de l’eau, séquestre du CO2, et a ainsi un impact positif sur son environnement. Quand nous cherchons des impacts positifs, nous les trouvons toujours. Ce que la femme ou l’homme détruit le plus, c’est l’humus. Il est donc important de recréer de l’humus pendant la vie des bâtiments, au travers de dispositifs de traitement de l’eau, de l’agriculture urbaine, de l’utilisation de matériaux issus du cycle biologique qui deviennent de l’humus en fin de vie.

 

La consommation collaborative est-elle liée aux principes du Cradle to Cradle ?

La collaboration est un aspect essentiel du C2C, d’abord au niveau de la conception : en France, il y a des silos entre les disciplines, or il est capital de mettre tout le monde ensemble pour éviter les redondances. La collaboration avec la population est également essentielle, pour que ce soit leur logement, leur projet. Michael Moradiellos, mon associé chez Lateral Thinking Factory, travaille beaucoup sur l’architecture participative. À Berlin, dans les années 1990, l’architecte Klaus Zhan a travaillé sur le traitement de l’eau pour un îlot de 300 logements sociaux. Puis les habitantes et les habitants ont mis leurs compétences en commun et, sans subventions extérieures, il·elle·s ont créé un bar-restaurant tenu par des personnes handicapées, un atelier, une crèche, ont rénové elles·eux-mêmes les façades, etc. C’est la force du C2C, de faire se rencontrer les habitantes et habitants sur un projet. L’agriculture urbaine a un fort potentiel pour cela — nous pouvons même imaginer des cuisines communes pour préparer les produits issus du potager !

 

Comment intégrer la consommation collaborative dans la conception des bâtiments ?

D’abord il faut prévoir un espace, puis que quelqu’un·e s’en occupe et que ce soit rentable. Se profile une économie de la fonctionnalité, où nous louons les choses plutôt que de les acheter. Si celle ou celui qui founit son lave-linge en reste propriétaire, par exemple, elle·il a intérêt à ce que la machine soit économe en énergie, en lessive, en eau, etc. Le C2C a pour objectif d’augmenter la qualité des produits, leur solidité et de faire en sorte que les fournisseur·se·s deviennent des partenaires. En Finlande, il est fréquent de louer des espaces vides que l’habitant·e peut investir comme elle·il veut et en fonction de son budget. Cela permet à tous et toutes de moduler leurs habitats, et c’est démontable. Aujourd’hui, de grands groupes de bricolage comme Castorama prennent ce train-là et se lancent dans la location de matériel.

 

Est-il possible de construire des logements sociaux, avec des contraintes de coûts spécifiques, qui répondent aux contraintes du C2C ?

Bien sûr que c’est possible. Ce n’est pas plus cher si c’est pensé dès le départ. Enfin, c’est parfois plus cher sur le court terme, mais tous ces éléments ont un retour sur investissement entre cinq et dix ans maximum, et sont donc soutenables financièrement. Il faut aussi faire des choix : nous pouvons très bien intégrer un ou deux éléments que nous poussons plus loin. C’est surtout vrai dans le domaine de la santé : par exemple, nous pouvons utiliser des bactéries pour nettoyer le bâtiment, ce qui revient beaucoup moins cher que les produits d’entretien chimiques. Pour l’énergie c’est assez facile, car elle est vite rentable quand nous combinons les économies d’énergie avec la production de renouvelable. Les économies d’eau, elles, se répercutent sur les charges. En règle générale, je pense qu’il faut intégrer le coût de fonctionnement au coût du bâtiment : aux Pays-Bas, il est ainsi d’usage d’attribuer une valeur résiduelle positive aux matériaux surcyclables. L’émergence d’un nouveau modèle financier permettrait au·à la bailleur·e social·e d’obtenir de meilleurs taux auprès des banques grâce à la valeur positive du bâti en fin de vie (au lieu d’un coût de démolition).

 

Vous citez souvent la Troisième Révolution industrielle, théorisée par le prospectiviste américain Jeremy Rifkin, vous travaillez sur l’agriculture urbaine, l’aquaponie, etc. Au-delà du Cradle to Cradle, quels grands sujets vous semblent importants pour l’avenir de l’habitat urbain ?

La Troisième Révolution industrielle, c’est l’Internet de l’énergie, c’est-à-dire la mise en réseau d’énergies renouvelables produites localement, à l’échelle des bâtiments. Cette approche est complémentaire de celle du C2C : nous proposons aussi la mise en réseau de l’eau, de l’air, du CO2, de la nourriture, des déchets, etc.
L’agriculture urbaine est la meilleure illustration de l’économie circulaire que nous puissions trouver : elle touche à l’alimentation, au social, à la santé — nous connaissons les méfaits de l’agriculture extensive — à la mobilité, au cycle du CO2, à la biodiversité, à la valorisation de l’énergie, à la gestion de la ressource en eau, et elle valorise l’immobilier.
Un autre sujet essentiel pour moi est la préfabrication, qui est en train de perdre sa mauvaise réputation. Aujourd’hui, nous pouvons tout faire sur mesure en préfabriqué, éliminer 95% des déchets de fabrication et penser le démantèlement des bâtiments dès le début. Cela permet également de travailler en usines de proximité, donc dans de meilleures conditions, avec le savoir-faire et la population locaux. C’est rendre la ville productive en matériaux, capable de s’auto-régénérer.
Pour favoriser le développement de l’économie circulaire, il faut défendre une croissance intelligente qui implique aussi de freiner certaines productions et d’accepter une croissance qui permette de servir les générations futures ; c’est la base du développement durable.

 

 

 

 

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