Répondre à la crise du logement par… un algorithme ?
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Une formule mathématique peut-elle déterminer où construire des logements ? Le premier ministre britannique Boris Johnson y croit et promet même une révolution dans la politique du logement nationale. Sauf que le fameux algorithme ne fonctionne pas ! Pire, il aggraverait la situation…
Selon un rapport du Centre for Policy, un institut politique britannique de centre-droit reconnu pour ses publications dans le domaine du logement et de la fiscalité, 3,6 millions de personnes ont été exclues du marché du logement depuis 2008 au Royaume-Uni : « Comme le souligne ce rapport, la dernière décennie a vu une détérioration de l’accessibilité du logement au Royaume-Uni, en particulier pour de nombreux jeunes qui ont été exclus du marché. Dans le même temps, les investisseurs institutionnels tels que les régimes de retraite d’entreprise, qui représentent les intérêts de millions de travailleurs en épargnant pour leur retraite, réclament des opportunités d’investissement à long terme appropriées. Les prêts hypothécaires à taux fixe de longue date ont le potentiel de faire correspondre les besoins de la société en matière de logement abordable et les besoins des régimes de retraite en actifs appropriés ». Dans ce contexte, le premier ministre a réformé sa politique du logement avec un “New Deal” ayant pour objectif d’offrir un nouveau souffle à la construction de logements abordables dans des zones qui en manquent cruellement.
Un algorithme pour sortir du « cauchemar bureaucratique »
« Pourquoi sommes-nous si lents à construire des maisons par rapport aux autres pays européens ? », demandait le premier ministre du Royaume-Uni au mois de juillet. Ce qu’il a répondu ? « Je vais vous dire pourquoi – parce que le temps, c’est de l’argent, et les retards dans notre système sont un frein énorme à la productivité et à la prospérité de ce pays. Par conséquent, les bâtiments doivent être autorisés à passer d’un usage commercial à un usage résidentiel sans avoir besoin de permis de construire, et les constructeurs de maisons seront en mesure de démolir les bâtiments résidentiels et commerciaux vacants existants et de construire de nouvelles maisons à leur place, le tout, sans le consentement de la planification ». Ainsi, convaincu de la nécessité de « déréguler » la construction de logements, BoJo a sommé son gouvernement de trouver une solution pour déterminer les futures zones où construire.
Un algorithme mutant pour 300 000 logements sociaux
C’est une formule mathématique qui a donc été proposée pour lutter contre la crise du logement. Son but ? Allouer un objectif annuel de construction de logements à chaque région en prenant en compte trois critères : la demande, la croissance démographique et l’accessibilité locale. Le problème ? « L’algorithme ignore la situation locale », rapporte le magazine Wired. Résultat : la formule prive le Nord du pays de nouveaux logements alors qu’il en nécessite, mais gonfle les objectifs de Londres et du Sud-Est du Royaume-Uni. De quoi faire hurler certain·es maires de la ruralité, pro-NIMBY (*Not in my back yard, traduisible par “chez les autres mais pas chez moi”). « Cet objectif est si court par rapport à ce qui est réellement nécessaire que lorsque vous essayez de produire suffisamment à Londres, vous finissez par réduire le nombre de maisons que vous construisez dans d’autres régions. Et le problème avec cela, c’est que ces autres régions ont encore besoin de maisons ». Un véritable casse-tête, donc, qui a poussé le ministère du Logement à revoir sa copie avant que les fonctionnaires puissent se saisir de l’algorithme. Il y a quelques semaines, Sadiq Khan, le maire de Londres, a accepté de soutenir ce projet d’algorithme à condition qu’il prenne en compte la situation économique de la capitale. Mais de vives critiques demeurent. Le vice-président du réseau des conseils de district, Tom Beattie, a confié au journal The Independant que les réformes de planification proposées entraîneraient « un fiasco national de la construction de logements basé sur une formule boueuse concoctée à Whitehall, le centre administratif actuel du gouvernement du Royaume-Uni, qui ignore les besoins locaux en matière de logement ».
L’algorithme ignore la situation locale
Ambiance électrique au pays des Rolling Stones ! « Les algorithmes et les formules ne peuvent jamais remplacer les connaissances locales et la prise de décision par les conseils et les communautés qui connaissent le mieux leurs domaines », explique David Renard, le président de l’association des collectivités locales britanniques. Pour le moment, le ministère planche encore sur la formule et tente de rassurer les acteurs locaux. Demandes d’aides sociales, de visas, examens scolaires, constructions de logements sociaux… depuis quelques mois, le Royaume-Uni multiplie les déconvenues avec ses algorithmes. Remplacer les politiques publiques par des algorithmes s’avère encore aujourd’hui être un mauvais calcul. Oui, mais jusqu’à quand ? On y songe en France… peut-être pour cette année ?
Les algorithmes et les formules ne peuvent jamais remplacer les connaissances locales et la prise de décision par les conseils et les communautés qui connaissent le mieux leurs domaines