Rencontre avec Sébastien Duprat de Cycle Up
Sébastien Duprat est le directeur général de Cycle Up, une société d’économie circulaire lancée en novembre 2017. Elle propose le réemploi des matériaux dans le bâtiment grâce à sa plateforme numérique ainsi que des services d’études et de conseils pour leur réutilisation.
La démarche a rapidement intéressé les acteur·rice·s de l’immobilier et d’autres structures comme le Samu Social de Paris pour la construction de centres d’hébergement d’urgence. Sébastien Duprat nous raconte la naissance de Cycle Up et nous dévoile l’intérêt de la démarche fraîchement primée au Grand Prix de l’innovation digitale ID18 dans la catégorie ville connectée !
Qu’est ce que Cycle Up ?
“Cycle Up c’est une jeune société innovante qui propose une solution globale sur la question de l’économie circulaire pour le bâtiment et l’immobilier. Pourquoi “solution globale” ? Parce que Cycle Up conseille les porteur·se·s de projet, mais aussi sensibilise au réemploi de matériaux les différents acteur·rice·s de l’immobilier et de la construction. Son rôle principal reste de gérer une plateforme digitale place de “marché” en ligne qui permet les échanges et les transferts de matériaux entre les différents sites immobiliers. Cycle up est donc à la fois opérateur·rice de plateforme et opérateur·rice de service.
Aujourd’hui, l’économie circulaire pour le bâtiment, c’est concret ! Cela fonctionne et permet réaliser de belles économies, en argent et en matériaux, en plus de permettre d’éviter de générer des déchets. C’est une véritable solution opérationnelle pour faire des constructions dites “bas-carbone” puisqu’on réutilise des matériaux plutôt que d’en créer de nouveaux qu’il faudrait produire, importer, mettre en œuvre et qui consommeraient donc ressources et énergie.
Autre avantage, cette économie circulaire permet le développement social et économique des territoires, puisqu’on opère toute une partie des opérations de Cycle Up en partenariat avec des entreprises d’insertion. On permet donc la création d’emplois locaux et non délocalisables.”
Comment fonctionne le service ?
“D’une part, il y a les acteur·rice·s qui dé-construisent des bâtiments, qui vont alimenter notre base de ressources pour le réemploi au lieu de remplir des bennes de déchets et, d’autre part, ceux·elles qui vont faire l’acquisition de ces ressources issues du réemploi pour les mettre en œuvre dans le cadre de projets neufs. Au moment où les bâtiments sont détruits, cela oblige à repenser la matière en tant que “ressource” plutôt que comme “déchet”.
Deux cas sont possibles, soit les acteur·rice·s s’échangent entre-eux·elles la matière, soit un·e même opérateur·rice la conserve pour lui·elle-même. Cette circularité peut donc être faite localement, instantanément et à flux tendu, autrement dit sans stockage, quand par exemple une entreprise immobilière détruit un immeuble et en construit un nouveau sur le même foncier, la récupération de matériaux peut se faire in situ.”
Quels matériaux sont concernés ?
“Notre plateforme concerne tous les matériaux du bâtiment, plus particulièrement ceux de second œuvre, comme les menuiseries, les portes, les faux planchers, les serrureries, les luminaires mais aussi les matériaux de maçonnerie, les parties d’équipement techniques sous réserve que leur performance soit toujours au bon niveau.
Aujourd’hui, l’idée c’est de ne pas nous limiter à concasser le béton pour en faire des gravats et les réutiliser dans les opérations de terrassement (routes et travaux publics), c’est d’aller plus loin pour l’immobilier, en permettant de conserver des pierres, des vitrages, des cloisons, des portes, des gaines de ventilation, tout un ensemble de matériaux pas nécessairement visibles parce que dissimulés dans des locaux techniques ou des parties communes, mais qui pourtant participent au bilan carbone de l’opération.”
Les matériaux mis au recyclage sont donc triés ?
“Oui, nous faisons appel à notre expertise sur les ressources. Les porteur·euse·s de projets, les architectes, les entreprises et tous les acteur·rice·s de la filière, doivent aussi apprendre à identifier les possibilités de réemploi et comment parfois détourner l’usage de la matière. C’est vraiment une autre manière de penser la matière, non pas comme “produit” mais bien comme “ressource” ! Il faut savoir nourrir sa créativité pour produire des architectures appropriées qui vont utiliser le matériau, en s’autorisant des détournements et en pensant les matières dans leurs usages !”
C’est alors les acteurs qui imaginent les usages ?
“Exactement, c’est tous les acteur·rice·s de la filière qui décident de re-dégager de la créativité et une réflexion plus fondamentale sur la matière. Alors que pendant plusieurs années, on s’est contenté de choisir des produits matériaux dans un catalogue. Cela remet en avant le rôle de l’architecte pour réfléchir le projet dans son ensemble en terme de qualité technique et fonctionnelle, et non pas juste comme un·e prescripteur·rice de produit.”
Donc cela permet de laisser une part de créativité ?
“D’une certaine manière ce n’est pas une méthode nouvelle. Certes, c’est un défi récent parce qu’il a été oublié pendant quelques années, mais l’histoire de l’architecture et de la construction a toujours été de réutiliser les matériaux qui étaient déjà sur place. Les matériaux de la Rome antique ont servi à faire la Rome médiévale et ainsi de suite. Cela a toujours été une pratique architecturale courante, jusqu’à la moitié du 20e siècle où les grands industriels se sont mis à proposer des gammes de produits, toujours plus performants, mais parfois complexes à appréhender pour les bâtisseur·euse·s.”
Pour vous, en quoi le réemploi est important dans le secteur du BTP ?
“C’est important pour diverses raisons. D’une part, parce que sur la planète les ressources sont en quantités limitées. On ne peut pas continuer à extraire du sol, des forêts et des mines toute une série de composants, alors que la planète croule sous ses déchets ! L’idée, c’est de lutter contre la disparition des ressources. D’autre part, les déchets sont un véritable problème car les décharges sauvages, les incinérateurs, les centres d’enfouissement pèsent sur nos territoires et nos paysages. La consommation de ressources et la production massive de déchets sont des problèmes structurants.
Autre sujet, c’est la question de la trajectoire carbone. Aujourd’hui, si l’on veut construire des bâtiments bas carbone, le secteur vous propose presque exclusivement de construire en bois, or il existe une solution alternative, celle de construire avec des matériaux de réemploi : pas besoin de les produire ou de les transporter, donc c’est une solution opérationnelle et économique pour répondre aux défis de la construction bas carbone !
L’économie circulaire c’est aussi la création d’emplois pérennes et non délocalisables, ainsi qu’une nouvelle créativité architecturale, le besoin de faire travailler des designer·euse·s qui trouvent des solutions inventives pour réutiliser les matériaux. C’est donc de la création de valeur sur les territoires. Réutiliser, réemployer, entreposer, livrer, toute cette logistique de l’économie circulaire va engendrer une multitude d’emplois et instaurer une responsabilité sociale dans le secteur de la construction.
S’ajoute le fait que le réemploi coûte moins cher, ce qui en fait une solution opérationnelle pour répondre aux enjeux du secteur (création de logements sociaux, hébergements d’urgence, baisse des dotations publiques) puisqu’il diminue les coûts de construction.”
Quelles sont les limites des constructeur·rice·s à utiliser le réemploi ?
“Il ne faut pas laisser croire que l’on peut tout réemployer et tout réutiliser. Sous prétexte de l’économie circulaire, il n’est pas possible de produire des bâtiments de moins bonne qualité car les constructeur·rice·s doivent s’assurer de la solidité des constructions et tous les matériaux n’ont pas les qualités techniques pour être réemployés.
Pour autant, certains immeubles sont complètement refaits après seulement 5 et 7 ans, alors qu’ils sont équipés de matériaux qui ont des durées de vie supérieures à 20 ans ! Alors, on jette à la benne des matériaux avec des qualités techniques et fonctionnelles inaltérées. Le réemploi célèbre la qualité technique des matériaux. Par exemple, nous faisons du réemploi de parquets en chêne massif du 19e siècle de bâtiments haussmanniens ! Leur réutilisation est plus simple que des éléments de mauvaise facture issus de constructions plus récentes. Le réemploi valorise les matériaux de bonne qualité : plus la ressource initiale était de bonne qualité, plus elle aura de chance d’avoir une longue vie, et même plusieurs !”
Et avec 3F ?
En avril dernier, une convention de partenariat a été signée entre Cycle Up et 3F pour permettre aux sociétés de 3F d’utiliser des matériaux de réemploi dans leurs opérations de construction ou de réhabilitation. 3F participera à l’évaluation des services de la plateforme afin de les améliorer et bénéficiera de retours d’expérience des différent·e·s partenaires ainsi que de séances de sensibilisation pour ses équipes.