ENGAGÉ·ES

Rencontre avec Jean Michel Herbillon, l’incroyable semeur de bonnes consciences

 

Fondateur d'Incroyables Comestibles

 

Dans un cadre professionnel comme dans un cadre personnel, Jean-Michel Herbillon entretient une relation forte avec les métiers de la terre et avec les problématiques liées à l’alimentation. Également très impliqué dans les démarches de participations citoyennes, il a été témoin du mouvement Incredible Edible qui fleurissait en Angleterre et de la force que pouvait apporter cette initiative en faveur du territoire et de ses habitant·e·s. Le principe est de fédérer chaque citoyen·ne qui le souhaite pour leur permettre de cultiver dans l’espace public et bénévolement des fruits et légumes pouvant être prélevés par quiconque en éprouve le besoin.

C’est ainsi que Jean-Michel Herbillon a co-développé en France le mouvement des Incroyables Comestibles qui reprend ce concept de partage et dont les implantations se multiplient. Que l’on agisse en bas de chez soi ou dans un autre quartier de la ville, il suffit d’un petit pot, de terreau et d’une étincelle de bienveillance pour développer ce concept humain et citoyen.

 

Avec Incroyables Comestibles vous parlez d’« aventures citoyennes ». Est-ce que vous pouvez nous raconter votre aventure citoyenne et la manière dont elle vous a mené à la co-fondation d’Incroyables Comestibles France ?

J’ai travaillé une dizaine d’années en tant que consultant indépendant, conseiller des politiques publiques. Puis avec quelques collègues nous avons fondé en 2010 « Plateforme Territoire », qui regroupait des bureaux d’études indépendants et dont le cœur de métier était de travailler sur la prospective territoriale et sur de nouveaux modèles de développement. Nous intervenions principalement sur des projets de participation citoyenne. Nous avons alors été missionné·e·s par la ville de Strasbourg sur la mise en place d’un parc naturel urbain et c’est dans le cadre de cette mission que nous avons approché pour la première fois la question de l’alimentation. Il s’agissait alors pour nous du début de l’aventure.

C’est alors que nous avons découvert l’expérience Incredible Edible située à Todmorden, en Angleterre, et on a trouvé ça absolument génial. Dans le livre d’or du parc naturel urbain de Strasbourg, nous avons consacré deux pages aux Incroyables Comestibles. Seulement à l’époque, ce concept n’intéressait personne. Il a pourtant fait l’effet d’une bombe en nous parce que nous gravitions dans la sphère des collectivités depuis plusieurs années et cela nous a vraiment donné l’envie de nous engager dans cette nouvelle aventure citoyenne.

À titre personnel je suis très impliqué dans toute une série d’initiatives éco-citoyennes. Mon père était grainetier et la question du bien à la terre a toujours été importante à mes yeux. Les premières actions d’Incroyables Comestibles ont d’ailleurs été lancées dans mon village, à Fréland dans la région de Colmar, puis dans le village d’un ami avec lequel nous avons le concept.

 

 

Comment cette initiative peut changer les rapports des citoyennes et des citoyens par rapport à leur nourriture ?

Pour répondre à cette question, deux éléments doivent être mis en avant :

Le premier élément concerne l’idée selon laquelle le changement et la transition viendraient de la rencontre entre la mobilisation des citoyen·ne·s, avec les acteur·rice·s qui mettent en place le cadre structurant de l’action collective. Les enjeux sont forts et je crains qu’on n’atteigne pas nos objectifs sans mouvement citoyen. En ce qui concerne les Incroyables Comestibles, il s’agit de bien entrevoir les lignes de force de ce mouvement. C’est le pouvoir des petites actions qui permet de bouger le collectif. Ce qui est important de percevoir, c’est l’énergie que dégage ce mouvement par le respect envers la terre nourricière, l’unité du tout, la co-responsabilité, le lien avec la santé et le bien-être…

Le second élément important à nos yeux concerne l’aspect fondamental de la pédagogie. Nous pensons qu’il faut qu’il y ait 50 % d’actions et de plantations partagées selon le principe de la gratuité et 50 % de pédagogie pour accompagner ces actions.

L’objectif d’Incroyables Comestibles n’est pas de convaincre qui que ce soit. On pose un acte, on fait sa part, mais cet acte doit transmettre un nouvel imaginaire collectif. L’idée est d’accueillir les citoyen·ne·s qui se sentent en phase avec nos convictions, les médias, les collectivités, pour qu’elle·il·s puissent agir selon leurs désirs. Il n’y a pas d’objectif de résultat. Aux Incroyables Comestibles nous agissons dans le moment présent et l’idée est de reconnecter les gens avec l’agriculture et surtout de leur permettre d’avoir plaisir à cultiver leur nourriture.. Nous ne présentons donc pas notre mouvement comme une question de quantité, mais comme la transmission d’une vibration de conscience.

Nous qualifions nos comestibles d’« incroyables » dans la mesure où elle·il·s font partie d’un processus vivant qu’il faut laisser vivre. Une énergie apparaît et fait son œuvre : elle peut s’estomper, rejaillir demain ou après-demain, peut-être ici ou peut-être ailleurs. Il faut juste accepter cette énergie du vivant libérée par le mouvement.

 

exemple d'action réalisé grâce à Incroyables Comestibles

 

 

Les Incroyables Comestibles n’ont donc pas vocation à modifier nos modes de consommation actuels ?

Fondamentalement si. En remettant les mains à la terre, on s’interroge sur les modes d’alimentation d’aujourd’hui parce que ce thème est aujourd’hui énorme. On parle tous les jours dans les médias de scandales alimentaires et une réelle conscience émerge. Avec les Incroyables, nous avons propulsé dans le débat public le thème du territoire autosuffisant plus fortement. D’ailleurs, notre leitmotiv est « nourrir l’humanité de façon saine pour l’Homme et pour la planète, localement, en suffisance, dans la joie et la dignité de chacun ».

 

 

Que dit la mise en place de ce mouvement sur le quartier dans lequel il est implanté ?

 Si il y a des installations cela signifie que des habitant·e·s en phase avec le concept les ont construites. C’est le signe qu’il y a des éléments de conscience dans la population locale car il s’agit d’un acte gratuit et désintéressé, les habitant·e·s donnent de leur temps. On a remarqué qu’en général, c’est lorsqu’il y a une dynamique de transition sur le territoire que les installations parviennent le mieux à se développer. Ce qui est formidable, c’est qu’une seule personne suffit. À Angers par exemple, un jeune a installé des bacs à légumes juste devant chez lui ; la presse a fait un reportage chez lui, ce qui a entraîné plusieurs autres actions dans la ville.

J’évoque souvent la loi que j’ai inventée, celle des 1 %, des 10 % et des 30 %. Ces chiffres sont assez aléatoires mais schématiquement le 1 % désigne les personnes qui peuvent incarner et rendre effective l’énergie de transition, les 10 % celles qui sont capables de percevoir cette action et d’accompagner le mouvement. Les 30 % désignent le taux de la population qui s’interroge déjà aujourd’hui sur des modes de consommation alternatives et qui veut évoluer. Il y a aussi les 0,0001 % : les éveilleur·se·s de conscience comme Pierre Rabhi qui insufflent l’esprit porté ensuite par le 1 %.

 

 

Selon vous, de quelles manières ce mouvement peut-il apporter du dynamisme au cœur de la ville ?

 Il y a une force propulsive avec un mouvement comme celui des Incroyables Comestibles. Il permet de rassembler les habitant·e·s dans une force citoyenne et qui va au-devant des acteur·rice·s du territoire. Ce mouvement pose des actes qui rayonnent et qui peuvent interpeller médiatiquement. Les élu·e·s étant à l’affût des tendances dans leurs villes, cela permet de bouger les lignes. En quelques années, le sujet de l’alimentation, qui n’était pas un sujet principal des agendas locaux, l’est entre temps devenu. Ce sujet là, du point de vue des élu·e·s, était à l’époque du ressort de l’Europe ! Les convergences que nous créons permettent donc d’impulser des dynamiques citoyennes et urbaines relayées par les médias eux-mêmes très bienveillants. Tout ce processus fait bouger le jeu de l’imaginaire collectif et permet de lancer des initiatives nouvelles sur la thématique de l’alimentation mais aussi sur d’autres sujets en faveur d’une transition efficace.

 

 

 

 

Top articles