Pourquoi les Gafam se mettent à financer du logement social ?
3 min.
En Californie, les plus précaires ne peuvent plus se loger. Étonnamment, les plus grandes entreprises du monde investissent dans le logement social. Poudre de perlimpinpin ou changement de paradigme sur le rôle sociétal des Gafam ?
Les Gafam – acronyme qui désigne les 5 plus grosses entreprises mondiales en termes de capitalisation boursière : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – font depuis quelques mois des investissements d’un tout nouveau genre aux États-Unis. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de financer des startup prometteuses, ni de nouvelles participations dans des marchés émergents, mais bien de contribuer financièrement à la construction de logements à loyer maîtrisé.
Avec pas moins de 5 milliards de dollars investis, les Gafam semblent vouloir s’attaquer au problème de la pénurie de logements sociaux. Mais ces investissements suffiront-ils à endiguer cette crise ? Philanthropie ou opportunisme ? Remplaceront-ils, demain, les pouvoirs publics sur le sujet de l’accès au logement ? Ou considèrent-ils le secteur, au même titre que la santé et la mobilité, comme un moyen supplémentaire de construire de nouveaux monopoles ? Radar fait le point sur les étranges dépenses des Gafam et sur ce qu’elles nous disent de ce que pourrait être l’avenir du logement social.
Nous voulons simplement créer un espace idéal pour tout le monde , Ricardo Benavidez, responsable du développement communautaire de Google
L’impact des Gafam sur les villes
« Nous voulons simplement créer un espace idéal pour tout le monde », a déclaré Ricardo Benavidez, responsable du développement communautaire de Google, à NBC Bay Area à la suite de l’annonce d’un financement de 5 000 nouveaux logements à San José. Si Google tient tant à rassurer les élu·es et les habitant·es de cette ville de Californie, c’est parce que le géant du net n’est pas tout à fait étranger à l’inquiétante situation du logement dans cet Etat. De son côté Amazon a récemment investi dans Plant Prefab, une startup spécialisée dans la conception de maisons préfabriquées durables et… connectées.
Mais que se passe-t-il outre-Atlantique ? Où sont passées les promesses des entreprises technologiques ? Ne devaient-elles pas assurer une vie plus simple, plus smart ? Parce que sur le terrain, c’est une toute autre photographie. Et pour cause, tous les signaux sont au rouge depuis quelques années : gentrification, pénurie de logements abordables, concentration des richesses, augmentation des inégalités, déplacement des populations les plus fragiles, explosion du sans-abrisme… Un phénomène que l’on retrouve partout aux États-Unis là où les entreprises des technologies s’installent.
Une situation préoccupante qui s’est d’ailleurs retrouvée au cœur des débats lors de la dernière élection présidentielle américaine. Radicale, la sénatrice démocrate Elizabeth Warren plaidait par exemple pour un démantèlement des Gafam. Bernie Sanders et Alexandra Ocasio-Cortez – également candidat·es à la primaire démocrate – proposaient, pour leur part, un « Green New Deal » pour le logement social de 161 milliards d’euros.
Gafam : le problème et la solution ?
Au-delà des considérations politiques, c’est l’avenir des villes qui est en jeu. Selon une étude du National Bureau of Economic Research, la pénurie de logements dans certaines villes dynamiques du pays pourrait coûter 9,5 % de PIB aux États-Unis. Le succès des big tech a un coût social, économique et démocratique faramineux.
Nous devons regarder San Francisco et dire que c’est le meilleur exemple technologique au monde et pourtant le pire en matière de sans-abrisme , Marc Benioff, PDG de Salesforce
Sans loyers accessibles pour abriter les soignant·es, les enseignant·es et autres professions « essentielles », les villes prospèrent de plus en plus difficilement. « San Francisco est une sorte d’épave de train. Nous avons un vrai problème d’inégalité. C’est à cause du secteur de la technologie. Nous devons regarder San Francisco et dire que c’est le meilleur exemple technologique au monde et pourtant le pire en matière de sans-abrisme », a concédé dans sa récente interview Marc Benioff, le PDG de Salesforce, une multinationale de logiciels de marketing.
Il y a consensus, les entreprises de la tech sont responsables de la pénurie de logements et celles et ceux qui dirigent commencent à le reconnaître tout en mettant la main au portefeuille. Et l’équation semble impossible à résoudre. Il manquerait jusqu’à 4 millions de logements en Californie. Et pour louer un studio, il faut débourser en moyenne la modique somme de 3 200 dollars par mois quand le prix médian des maisons à San Francisco atteint 1,4 million de dollars. Résultat, chacun, chacune y va de son projet immobilier incluant du logement social.
Les Gafam, nouveaux partenaires des Etats fédéraux
Selon une tribune du New York Times, la hausse vertigineuse des coûts du logement dans les centres urbains, où se concentre l’industrie technologique, serait le résultat de 40 années de politique fiscale et foncière. Les Gafam ne seraient pas responsables du fait que des propriétaires ont empêché tout projet de densité dans les villes californiennes. Le rêve américain aurait ainsi commencé à se déliter dans les années 1970. Mais parce que les entreprises technologiques ont amplifié la crise, elles sont aujourd’hui regardées pour leur engagement.
Ainsi les entreprises technologiques n’auraient pas créé la crise du logement mais y ont fortement contribué. Mais peuvent-elles aider les États-Unis à en sortir ? En attendant, c’est le chemin qu’elles disent vouloir prendre. Une goutte d’eau dans la mer, comme l’affirme Bernie Sanders ? Selon un rapport de McKinsey, la Californie aurait besoin de 3,5 millions de logements d’ici 2025. Les entreprises technologiques y arriveront-elles ? Parce que ce sont peut-être elles qui sauveront le rêve américain…