ENGAGÉ·ES

Patrick Darmon : « La smart city, c’est une idée et un potentiel »

 

C’est LE grand sujet dès que l’on s’intéresse aux villes de demain : comment, grâce aux technologies, les rendre plus réactives, résilientes, autonomes… en un mot, intelligentes. Or, pour mettre les nouvelles technologies de communication (NTIC) au service de la smart city, il faut savoir récolter, analyser et utiliser les masses de données — ce qu’on appelle le big data — qu’elles génèrent. Patrick Darmon, directeur Practice Big Data chez Keyrus et expert  en tant que praticien du sujet, nous a apporté son éclairage sur les transformations urbaines à venir, et la manière dont le big data peut nous aider à les comprendre et les accompagner.

 

Patrick Darmon smart city

 

Comment le big data contribue-t-il à construire des villes plus intelligentes ?

Aujourd’hui, la smart city reste avant tout une idée et un potentiel : il y a plein de projets, mais il n’y a pas une smart city modèle dans le monde. Pour ce qui concerne le big data, il existe aujourd’hui deux grands axes de développement. Le premier, c’est l’optimisation de court-terme: utiliser le big data pour identifier des problèmes et contraintes et y apporter plus vite des solutions. Cela touche à l’optimisation du trafic — comme le fait Waze, c’est aussi de la smart city — et des réseaux d’énergie locaux. Le deuxième axe, moins exploité, est plus stratégique et se déploie sur le moyen terme : il s’agit d’utiliser le big data pour détecter les mouvements d’évolution du cadre urbain, en se fondant, par exemple, sur les fermetures et ouvertures de commerce ou sur les évolutions de consommation d’énergie pour identifier plus en amont les quartiers qui se développent et ceux qui risquent d’être en état de mort économique. À cela s’ajoute la prévention des risques majeurs.

 

Quels sont les grands défis urbains des années à venir et comment le big data peut-il contribuer à les affronter ?

Il ne pourra pas tout faire ! Pour ce qui concerne le monde développé, il se développera surtout autour des deux axes que j’ai évoqués : l’optimisation pour baisser le coût du fonctionnement de la ville et du renouvellement des infrastructures et améliorer la qualité de vie et la sécurité, et la stratégie de moyen terme pour mieux anticiper le développement humain et économique des villes. Dans le monde en développement, c’est complètement autre chose. On y construit des villes à une vitesse phénoménale et de dimensions gigantesques. Dans ce contexte d’urbanisation extrêmement rapide, la problématique est d’optimiser les capacités des infrastructures, c’est-à-dire les concevoir de la façon la plus intelligente possible dès le départ afin de minimiser les investissements.

 

La démocratie participative au niveau local est un enjeu crucial pour construire des villes certes intelligentes, mais qui répondent surtout aux besoins et aspirations de celles et ceux qui les habitent. Comment les NTIC et le big data peuvent-elle·il·s contribuer à cet engagement local des citoyennes et des citoyens ?

Il y a plusieurs manières de le faire. C’est d’abord une opportunité pour la ville de (re)bâtir une proximité avec une partie des citoyennes et des citoyens, grâce par exemple à des outils qui permettent aux habitant·e·s de remonter des informations aux mairies. Mais les NTIC et le big data peuvent aussi aider les villes à faire ce qu’on appelle du « nudge marketing », c’est-à-dire mettre en place un ensemble de méthodes douces et non-coercitives pour provoquer l’engagement des citoyennes et des citoyens. Au Royaume-Uni, au niveau national, le gouvernement Cameron a ainsi constitué une « nudge team » qui réfléchit aux moyens d’interagir plus intelligemment avec la citoyenne et le citoyen pour obtenir ce qu’on veut d’elle et de lui (le paiement d’un PV par exemple) ou lui fournir une information dont elle·il a besoin. Les résultats avaient été phénoménaux et le dispositif plébiscité. C’est quelque chose qui peut très bien être décliné au niveau local. Les collectivités vont ainsi réfléchir au bon angle pour impliquer leur client·e et vont se baser sur le big data pour voir de quelle manière procéder, car il faut avoir toute une réflexion sur le message, sa structure, le moment où il est envoyé, etc.

 

Comment l’explosion des plates-formes de consommation collaborative s’inscrit-elle dans les politiques de développement des smart cities ?

Vous voulez parler de Airbnb ou de Uber ? J’appelle cela des plates-formes à réseaux. C’est un sujet complexe. Cela peut être compliqué pour une ville car ce qu’elles font souvent, c’est dissocier la valeur d’un actif de sa propriété, la part de valeur perçue par la·le propriétaire fond au dépend de celle de l’intermédiaire… et la·le propriétaire, cela peut être la ville, en France notamment où nous avons un système de concessions unique. Ceci dit, aujourd’hui, les villes sont encore relativement peu touchées. En revanche, je vois un avenir où un nouvel ensemble d’infrastructures sera uberisé ou airbnbisé, et là ce sera plus compliqué. Par exemple il n’est pas exclu que l’on voie apparaître une application qui a un impact majeur sur les démarches administratives, sur lesquelles la ville a aujourd’hui un monopole. Ou bien une plate-forme de sondages urbains et locaux (comme monaviscitoyen.fr) qui bouleverse le rapport à l’opinion publique locale. Aujourd’hui, à quelques exceptions près (Voltalis dans l’énergie par exemple), cela n’est pas visible mais les concessions urbaines présentent toutes les caractéristiques propices à ces développements : aujourd’hui tout le monde peut cartographier une ville, avoir accès aux données, etc.

 

Quelle gouvernance imaginer pour protéger toutes ces données ?

Poser la question, c’est en poser dix. On parle de protection pour qui : le citoyen, la ville, l’opérateur ? Et par rapport à quel type d’attaques ? C’est un sujet majeur, qui est en cours d’intégration. Il y a aussi la protection des algorithmes qui est importante : les données ont une valeur une fois qu’elles sont analysées, donc les mécanismes de l’analyse ont une valeur en tant que tels. Sur ce sujet, on sait d’avance qu’il n’y aura jamais de solution définitive. C’est une sorte de course aux armements entre cybersécurité d’une part et les hackers de l’autre, qui génère de forts investissements des deux côtés. Mais l’impact potentiel ne cesse de grandir : si l’on entre dans le système informatique d’une ville ou dans le système des impôts, par exemple, c’est extrêmement perturbant. Cela a un potentiel très fort et très violent. Tous·tes les acteur·rice·s y réfléchissent, et elle·il·s savent d’ores et déjà que ce sera une stratégie permanente et en constante évolution.

 

Crédit photo : filiere-3e.fr

 

 

 

 

Top articles