Consommation collaborative : partager ses machines pour économiser l’espace et l’énergie
Toute personne qui a été contrainte d’aller à la laverie ou chez des ami·e·s pour laver son linge, alors que la majorité des habitantes et des habitants de son immeuble disposent d’un lave-linge, a dû y penser : et s’il y avait une buanderie partagée dans le bâtiment, comme c’est le cas aux États-Unis ? Ou mieux, si tous les voisin·e·s disposaient d’un lieu commun où partager leurs objets, mais aussi des équipements qu’elle·il·s achèteraient ensemble ?
Un sujet quasiment inexistant en France
Dans les grandes villes des États-Unis, les immeubles sont souvent dotés de buanderies collectives, au rez-de-chaussée ou au sous-sol. À Berlin, on trouve dans certaines caves un espace dédié aux lave-linge… où s’alignent toutes les machines des résident·e·s qui n’ont pas la place de la garder chez elles·eux. La notion d’espace partagé est là, mais il faut encore un petit effort pour que les machines, grandes consommatrices d’espace, d’eau et d’énergie, le soient.
En France, le site Internet La Machine du voisin, lancé en 2012, met en relation propriétaires de lave-linge et « Sans Machine Fixe » pour que les second·e·s viennent chez les premier·ère·s laver leur linge, moyennant compensation financière plus ou moins symbolique. L’idée est bonne, mais ne serait-il pas plus simple d’avoir dans tous les immeubles un local où seraient mises à disposition des machines partagées ? Alors que la consommation collaborative s’est, paradoxalement, beaucoup déployée grâce à des plate-formes numériques (Airbnb, Blablacar, Sharevoisins, etc.), les lieux physiques de partage restent encore trop rares en France, pour mettre en commun lave-linge et sèche-linge, mais aussi tondeuse électrique, perceuse, pompe à vélo, escabeau et outils, etc.
À Paris, Domotek, service citoyen de partage d’objets gratuit, tente d’occuper ce créneau. Un espace de stockage est mis à disposition des membres de la communauté, qui y déposent un objet pour qu’il puisse être emprunté par d’autres et, en échange, peuvent emprunter celui qu’ils veulent. À quand dans les immeubles ?
Aller encore plus loin que la buanderie partagée des Américains, cela paraît simple comme cela. Mais l’idée est, étonnamment, quasi-inexistante en France. Question d’espace, certes, dans de nombreux immeubles, mais question de mentalité aussi ? Manque de confiance dans ses voisin·e·s pour respecter les machines ? Peur de finir par payer trop cher ou de ne pouvoir maîtriser sa consommation ? De ne pas disposer de l’exact objet que l’on souhaiterait avoir ? Ou est-ce que, tout simplement, personne n’y a vraiment pensé ?
Réancrer la consommation collaborative dans une dimension physique
Chez 3F, si aucune résidence n’est encore pourvue d’une telle salle de partage (même si certaines résidences testent déjà le partage du matériel de jardinage), on y réfléchit. Anna Cremnitzer, responsable architecture et développement durable chez 3F, le dit : « C’est un sujet sur lequel nous sommes prêt·e·s à travailler. » Lorsque la mairie de Paris lance un appel à projets pour « réinventer la ville », les équipes 3F présentent un projet d’habitat intergénérationnel, un immeuble où cohabiteraient jeunes et personnes âgées, et qui serait doté d’une laverie collective ouvrant sur un patio. « On espère pouvoir le mettre en œuvre dans les années qui viennent », explique Anna Cremnitzer, ajoutant qu’il faudrait mener une enquête auprès des résident·e·s 3F pour tester leur intérêt à partager leurs appareils électroménagers, et mener les réflexions en concertation avec la gérance, cheville ouvrière de la mise en œuvre concrète de tous les projets.
Mais c’est surtout pour les immeubles neufs que son équipe pourra peut-être développer ces espaces de partage : « On travaille sur la politique architecturale et environnementale du groupe, essentiellement en construction neuve, ce qui implique notre cahier des charges. » De là à ce que les constructions neuves aient un espace prévu pour le partage, le chemin est certainement encore un peu long. Restera à établir qui paie les équipements et de quelle manière – comme les charges d’immeuble, au prorata de la consommation de chacun ? -, qui les entretient, qui gère les pannes et remplacements, etc.
En tous les cas, voilà l’idée est lancée pour faire aller la consommation collaborative un peu plus loin, et surtout pour la réancrer dans une dimension physique qui lui est indispensable. Comme l’écrit Pierre Mallet dans un article qui synthétise les travaux lancés par la Fing et Ouishare en 2014 sur la consommation collaborative, « l’essentiel des services de la consommation collaborative nécessite des lieux pour se rencontrer, pour partager, pour créer collectivement. (…) D’où le besoin d’incarner la consommation collaborative dans des hubs, des espaces physiques ouverts aux croisements et à la diversité des échanges et des contributions. »