Rencontre avec Mathias Lahiani de “On passe à l’acte”, concilier idéalisme et pragmatisme pour agir !
Les initiatives positives se multiplient partout en France. Depuis plus de dix ans, Mathias Lahiani est sur les routes pour interviewer les porteurs et des porteuses de projets qui cherchent à changer le monde et donner du sens à leur action. Avec “On passe à l’acte”, son association, il valorise l’engagement et souhaite accompagner tous les acteurs et toutes les actrices du changement !
Mathias Lahiani a créé l’association “On passe à l’acte” pour mettre en évidence des projets positifs en faveur du bien commun. L’objectif de l’association est de partir à la rencontre de porteurs et des porteuses de projets qui agissent de manière concrète sur le terrain, afin de les mettre en valeur via le média, puisque chaque expérience fait l’objet d’une vidéo disponible sur son site Internet. Nous l’avons interrogé sur l’avenir d’”On passe à l’acte” et l’évolution de l’engagement citoyen.
Pourquoi avoir créé “On passe à l’acte” ?
Je suis un idéaliste, j’ai été élevé par la génération 68. Étant violoniste, j’ai démarré ma vie active en évoluant dans le domaine artistique mais, il se trouve que je n’y ai pas trouvé tout le sens de l’idéal que j’attendais. La musique, c’est répétitif, technique, ce n’était plus ce que j’imaginais, il me manquait quelque chose.
J’ai donc réfléchi pendant quelques mois pour finalement comprendre que ce qui m’attirait dans cet idéal : nous avons une nature humaine altruiste qui peut améliorer le monde. J’ai donc décidé d’aller à la rencontre de tous ceux et toutes celles qui agissent pour le bien commun, qui font de leur mieux pour être altruistes et qui cherchent du sens dans ce qu’ils font.
Pendant quatre ans, j’ai noté chaque initiatives positives que je voyais. J’ai rempli des classeurs, des fiches qui concernaient d’abord des projets mises en œuvre par des ami·e·s, puis j’ai regardé dans les journaux et un peu partout. C’était un grand benchmark des initiatives positives, d’abord par écrit puis, par la suite, une amie a proposé de me suivre dans ce quotidien avec des étudiant·e·s de cinéma. Quand j’ai vu ce que cela donnait en vidéo, j’ai récupéré tous les films réalisés (les 12 premiers sur le site) car je trouvais cela bien mieux. Aujourd’hui, plus de 950 vidéos ont été postées sur notre site.
Comment cette action individuelle a changé d’échelle pour devenir une association ?
Par la suite, j’ai constitué une équipe. Nous avons interviewé des personnes qui font des choses formidables, mais qui sont proches de notre culture. Car forcément, quand on choisit des projets, nous avons des filtres. Par exemple, pour moi, ces personnes devaient être des poète·sse·s avec des valeurs, qui se moquent de l’argent, ce que j’appelle des “idéalistes”. J’ai donc interrogé beaucoup de projets comme ceux-là. Mais je me suis fait prendre à mon propre jeu, car les initiatives positives il y en a de toutes sortes issues de cultures bien différentes.
J’ai donc été obligé d’accepter que certaines initiatives soient mises en œuvre par des femmes et des hommes plus institutionnalisé·e·s et qui ont beaucoup d’argent. C’est ce que j’appelle “les efficaces-pragmatiques”. Ils·elles arrivent à monter des entreprises, à être influent·e·s et avoir des métiers permettant d’avoir un bon salaire. Ils·elles m’ont montré que quand un·e “efficace” se pose la question du sens, quand il·elle change de regard et se met à faire des initiatives positives, c’est génial ! C’est une mutation du système de pensées et de croyances.
Si j’en parle, c’est que toute la phase 2 d’”On passe à l’acte” découle directement de cette prise de conscience. Notre positionnement aujourd’hui, pour notre coopérative, c’est de devenir une zone de contact entre “idéalistes” et “pragmatiques”. Parce que je me suis aperçu que lorsque quelqu’un·e fait une initiative positive, ce n’est pas nécessairement qu’il·elle est citoyen·ne ou altruiste, c’est le fait qu’il·elle a équilibré en lui·elle les deux grandes cultures : d’un côté ses idéaux et ses valeurs, et d’un autre côté, sa technique (argent, connaissances, méthodes, compétences) qu’il·elle a alors mis au service de son projet.
Pour atteindre cet objectif, je travaille donc avec des élu·e·s, des chef·fe·s d’entreprises, avec toutes ces personnes que je n’aurais pas intégrées auparavant dans notre démarche. Si j’insiste un peu, c’est que nous sommes tous et toutes quelque part parfois radica·les·ux, soit dans nos idéaux, soit dans notre efficacité. Il faut donc faire la jonction entre les deux. J’invite à faire cette mutation pour réunir en chacun·e de nous nos côtés pragmatiques et idéalistes pour de meilleures initiatives pour demain.
Comment demain l’association “On passe à l’acte” va-t-elle évoluer ?
On tend à devenir un écosystème et l’association se transformera en un média qui diffusera toujours les initiatives. Différentes structures seront créées, une maison d’édition et même un laboratoire de l’engagement (LABE) qui va travailler sur les leviers et les freins du passage à l’acte, ce qui fait qu’on agit ou pas.
Aussi, on mettra en place une structure pour accompagner des porteur·euse·s de projets, parce qu’ils·elles ne sont pas assez accompagné·e·s. Chaque année, des milliards sont investis mais uniquement pour les initiatives technologiques, sur le numérique, la biotechnologie. Celles pour le bien commun ou l’innovation sociale n’en bénéficient quasiment pas avec 97 % de rejet de la part des incubateurs et pépinières car elles sont qualifiées de non viables. Ce qui fait que ces porteur·euse·s de projet sont découragé·e·s et déprimé·e·s. On va donc créer une pépinière pour les aider, les soutenir.
De plus, on souhaite mettre en place un bilan d’existence ! Si un acteur ou une actrice s’engage, c’est pour des valeurs humaines. On ne peut pas continuer à passer à côté de cela. Avec la mécanisation du travail, celui-ci est voué à disparaître et les humain·e·s auront une fonction de créateur·rice·s. On interroge alors l’intériorité pour savoir ce qui motive à créer, ce qui passionne et pousse les personnes à agir. Ce sera une sorte de “bilan de compétence 2.0” pour permettre à tous et à toutes de trouver sa voie et inventer les métiers qui correspondent à ce que chacun·e est.
On souhaite aussi créer un outil pour autoévaluer l’impact positif des projets. Parce qu’aujourd’hui, nous évaluons le “non impact négatif” : non consommation de pétrole, non licenciement, etc. Nous, on cherchera plutôt à savoir si cela prend soin du vivant, des personnes, de la planète… On s’intéresse plus à l’impact positif de la proposition, plutôt que ce qui est fait pour en réduire l’impact négatif. Il faut un indicateur pour celles et ceux qui donnent du sens à leur projet.
Quelle évolution de l’engagement citoyen ?
D’abord, il y a eu des militant·e·s un peu marginaux·ales. Puis, l’engagement s’est institutionnalisé avec l’économie sociale et solidaire, en disant que l’on peut faire des profits avec des activités qui ont du sens. Et enfin, il y a désormais le développement durable qui prend de l’ampleur avec les enjeux du climat. Cela reflète les grands changements culturels dans nos façons de penser. Ce qui change, c’est notre sensibilité au vivant. On est sans arrêt en progression dans notre rapport au monde. Après avoir milité contre, on se pose cette question : “qu’est-ce que je peux faire pour ?” Ce sont ces personnes-là que nous sommes allé·e·s interviewer. Il y a douze ans, personne ne comprenait ce que je voulais faire. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. De nombreu·ses·x journalistes s’y intéressent et en font des émissions. Ces dernier·ère·s sont d’ailleurs venu·e·s nous voir, il y a quelques temps, pour nous demander notre base de données et reprendre des sujets.
Avant, l’expression “On passe à l’acte” n’était pas comprise et elle était associée à l’image du suicide. Aujourd’hui, elle est reprise par des associations qui s’approprient notre nom d’une manière différente. Et énormément de mouvements ont été créés : Colibris, Ticket for change, Makesense, etc. Ce sont des structures qui croient dans le positif et le pouvoir d’agir de tous et de toutes ! A nos débuts, il n’y avait rien. Plus qu’un changement de paradigme, à tout ce qu’entreprennent les femmes et les hommes, il s’agit d’ajouter ce que pensent les poète·sse·s. Et à tout cet engouement, nous cherchons à ajouter des moyens. C’est une grande alliance entre idéalistes et pragmatiques qui arrive !