Luc Schuiten, architecte idéaliste
L’architecte et scénariste belge Luc Schuiten croit qu’un autre futur est possible, où la ville sera plus proche de la nature et le développement humain vraiment durable. Conversation avec un idéaliste qui aime les utopies concrètes.
Comment voyez-vous la ville du futur ?
Beaucoup de choses peuvent se passer, je vais donc parler de ce que je trouve souhaitable, de ce que je considère comme un véritable progrès. Et donc, du développement durable. Il y a des mouvements déjà initiés, des villes en transition qui nous montrent comment l’on peut fonctionner sur des ressources locales, créer des groupements de gens qui s’investissent dans l’avenir de leur région au travers de collectivités responsables et solidaires, indépendantes des organisations étatiques. Cela permet à chacun et chacune d’envisager son futur et de le contrôler. On n’est plus un tout petit maillon d’une gigantesque machine dont on ne sait pas où elle va, on est un rouage important d’un mécanisme, avec une finalité qui est poursuivie par tout un groupe. Dans cet ordre d’idée, on peut parler des écoquartiers, des habitats groupés ou des potagers urbains qui se fondent sur la solidarité pour regrouper les volontés sur un même territoire, afin d’arriver à un but commun.
Ces initiatives, comme l’agriculture urbaine, peuvent-elles sortir de la dimension marginale qu’elles ont aujourd’hui pour se développer à plus grande échelle ?
Il y a beaucoup de solutions minimum au départ qui vont prendre de l’ampleur et nous assurer un équilibre. Nous sommes tributaires d’un équilibre mondial que nous ne maîtrisons pas. Or, la maîtrise de notre environnement immédiat, c’est important pour nous sentir bien. Ce n’est pas qu’une question de survie : être proche de ce qui fait notre vie et notre quotidien, par exemple la fabrication de nourriture, contribue à notre équilibre.
Sur quelles autres idées travaillez-vous en ce moment ?
Je me préoccupe d’intégrer dans les conceptions de ces écoquartiers des espaces réservés pour les plus démuni·e·s, les sans-abri, les accidenté·e·s de la vie qui sont en déshérence dans notre cité. C’est une véritable blessure que nous ne leur proposions rien pour vivre décemment. C’est très choquant que nos villes les rejettent et les traitent comme des déchets. Il nous faut faire l’inventaire des espaces résiduels dans la ville et faire de deux problèmes une solution, avec des habitations décentes pour leur redonner une place dans la ville.
Le concept de biomimétisme, c’est-à-dire d’imitation de la nature, est très présent dans vos travaux. Pourquoi ?
Pour moi, c’est le départ d’une solution alternative à un développement industriel qui est le nœud du problème environnemental dans lequel nous nous trouvons. Quand on observe comment la nature met en place des coopérations pour réaliser des choses d’une très grande qualité, on voit des exemples dont on pourrait très rapidement tirer profit. Par exemple, le béton est le deuxième responsable mondial des gaz à effet de serre : quand l’on cuit à 1500° de la roche calcaire, elle libère le CO2 qu’elle a mis des millions d’années à capturer. Le mollusque qui fait sa coque fait le contraire : il crée du “béton” en absorbant du CO2, il ne rajoute rien qui causerait des dommages. On ne sait pas encore faire ça correctement, ni de manière industrielle, mais dans plein de laboratoires dans le monde, on cherche à apprendre de la manière dont le mollusque fabrique du “biobéton”.
Le biomimétisme, c’est donc de l’économie circulaire ?
La nature est le meilleur exemple des principes d’économie circulaire. Il n’y a jamais un déchet, tout fonctionne en boucle. Pourquoi ne pourrait-on pas apprendre de ces écosystèmes et fonctionner de manière à perfectionner la qualité de la vie en société plutôt que d’amasser déchets, problèmes, pollutions et maladies ?
Vous défendez aussi le concept d’archiborescence. Qu’est-ce que c’est ?
C’est un néologisme que j’ai forgé pour définir ce que pourraient être des constructions qui utiliseraient le vivant comme matériau. Dès l’époque Art Nouveau, on copie le vivant comme élément décoratif. Peut-on aller beaucoup plus loin, dans la matière dont les éléments eux-mêmes sont produits ? Dans les années qui viennent, nous allons découvrir de nouveaux biomatériaux.
Comment résumeriez-vous votre vision de l’avenir de la ville ?
La ville et les constructions sont issues quasiment essentiellement de l’industrie. Il faut trouver un autre mode de développement qui fonctionne en parallèle et, progressivement, crée des matériaux et manières de faire pour remplacer ce que nous produisons, de manière plus équilibrée.
Vous croyez que nous parviendrons un jour à le faire à assez grande échelle ?
On n’a pas le choix. C’est la seule voie qui peut nous donner un futur. Autrement, nous ne ferons qu’augmenter les problèmes que nous avons créés. Si on ne recherche pas la durabilité, nous allons disparaître.