Les “Jardins de Noé” : sensibiliser les quartiers à la biodiversité
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Engagé depuis 2015 dans des pratiques vertueuses pour la gestion des espaces verts, le bailleur social 3F va plus loin en les affiliant au réseau des « Jardins de Noé » qui œuvre à la protection de la nature et à la sensibilisation du grand public. Regards croisés d’Arnaud Greth et de Marika Dumeunier, respectivement président et directrice du pôle national de l’association Noé. Le site : http://noe.org
Pouvez-vous présenter vos parcours respectifs et la naissance de Noé ?
Arnaud Greth, président fondateur de Noé : J’ai une formation de vétérinaire et de biologiste. Pendant plusieurs années, en Afrique, j’ai géré des programmes sur les espèces menacées et sur les parcs nationaux avant de devenir directeur scientifique du WWF en France. Puis, en 2001, j’ai créé l’association Noé, qui est aujourd’hui reconnue en France et dans le monde pour la sauvegarde de la biodiversité,avec plus de 100 salarié·es.
Marika Dumeunier, directrice des programmes nationaux de Noé : J’ai travaillé pendant 15 ans dans l’aéronautique et le spatial, et c’est petit à petit que j’ai développé des convictions écologiques. J’ai repris mes études au sein d’AgroParisTech pour pouvoir aligner mes convictions personnelles et mon projet professionnel. Je suis arrivée fin 2019 chez Noé pour être actrice de la protection de la nature !
Quelles sont les activités de l’association ? A qui s’adresse-t-elle ?
Arnaud Greth : L’essence de Noé, c’est de sauvegarder la biodiversité pour réinventer un monde qui soit plus durable et mais aussi vivant. Parce qu’il ne faut pas l’oublier : sauvegarder la biodiversité, c’est préserver les millions d’espèces qui forment la toile du vivant ! Et c’est surtout maintenir et préserver les biens et services écologiques qui nous permettent d’avoir de l’eau à boire, de l’air à respirer, des fruits et légumes à manger. Le but est de préserver les espèces vivantes pour l’humanité qui en bénéficie tous les jours.
Sauvegarder la biodiversité, c’est maintenir et préserver les biens et services écologiques qui nous permettent d’avoir de l’eau à boire, de l’air à respirer, des fruits et légumes bons à manger.
Arnaud Greth
Marika Dumeunier : les activités de Noé s’organisent en deux pôles : un pôle international, où l’on s’occupe de programmes de préservation d’espèces ou d’espaces. Un autre, national, où nous nous occupons de la biodiversité ordinaire. Le programme “Jardins de Noé” en fait partie. Il a pour objectif de diffuser le plus possible des pratiques de jardinage et de gestion d’espaces verts qui soient respectueuses de la biodiversité. C’est dans ce cadre que nous accompagnons 3F dans une gestion remarquable de certaines de ses résidences concernant le respect de la biodiversité.
Comment est né le label « les Jardins de Noé » et à quels objectifs répond-il ?
Marika Dumeunier : Techniquement ce n’est pas un label car nous n’avons pas de vérification par audit. Nous avons préféré opter pour un dispositif léger et incitatif. Nous avons une charte avec 10 gestes et on propose aux entreprises, aux collectivités et aux particuliers de déployer ces gestes et de progresser ensuite à leur rythme.
Arnaud Greth : Les jardins, en France, c’est un million d’hectares et quelque 13 millions de jardiniers. C’est une superficie 5 fois supérieure à toutes les réserves naturelles réunies en France métropolitaine ! Cette trame pour la biodiversité est très importante en milieu urbain et périurbain. Le jardin, c’est aussi un lieu où tous les enjeux du développement durable peuvent s’illustrer : la gestion de l’eau, les déchets, la pollution liée aux pesticides, les pratiques de consommation ou encore le lien avec la nature. Le jardin, c’est un levier pédagogique fabuleux et c’est la pièce de la maison qui fait le lien avec la nature !
Les jardins en France, c’est un million d’hectares et quelque 13 millions de jardiniers.
Arnaud Greth
Comment devenir un jardin de Noé ?
Marika Dumeunier : Pour être reconnu “Jardins de Noé”, sur les dix gestes de la charte, il faut en faire minimum cinq. La reconnaissance dure 3 ans. 3F est déjà très avancé dans la transition écologique de la gestion de ses sites, c’est un des bailleurs sociaux qui est vraiment à la pointe sur ce sujet. Nous aidons notamment 3F à créer un réseau de gardien·nes qui soit sensibilisé et mobilisé pour suivre la gestion d’espaces verts de façon environnementale.
Comment impliquer les habitant·es dans la démarche et quels effets constatez-vous sur le lien social et de bien-être ?
MD : Beaucoup d’études ont prouvé que plus on est en contact avec de la nature, mieux on se sent. Cela concerne autant le bien-être mental que physique, puisqu’on sort plus ! Nous mettons en place des panneaux d’affichage pour informer les locataires de ce qui se passe sur les sites et du coup, cela les amène à échanger entre eux, mais aussi avec le gardien ou la gardienne qui sont au cœur du dispositif. Certains quartiers populaires sont assez mal dotés en verdure et 3F apporte un supplément de nature qui est très utile. On sait que le réchauffement climatique aura des impacts pour les 50 prochaines années, notamment avec une augmentation du nombre de canicules. Plus on met de verdure dans les habitats, plus on pourra limiter l’intensité de ces périodes de fortes chaleurs.
Beaucoup d’études ont prouvé que plus on est en contact avec de la nature, mieux on se sent.
Marika Dumeunier
Selon vous, la crise du Covid a-t-elle accéléré la prise de conscience sur la nécessité de protéger la biodiversité ?
Arnaud Greth : Les virus et les bactéries, qu’on les aime ou pas, sont des éléments qui font partie de la biodiversité. Ce virus nous rappelle quand même notre lien à la nature qu’on a tendance à oublier mais qui est indéfectible. L’autre révélateur de cette crise, c’est que le monde est malade de la surconsommation, de ces échanges effrénés de biens et de personnes. Et cette crise sanitaire, même si c’est dramatique, pourrait n’être qu’une vaguelette par rapport à ce que pourraient engendrer les désordres du climat et l’effondrement de la biodiversité. Il est donc impératif de saisir l’urgence écologique.
Marika Dumeunier : La petite touche “positive” de cette pandémie, c’est qu’elle a quand même donné beaucoup plus de place à la nature. Ça l’a rendue plus visible, mieux entendue. Je pense qu’il y a des gens pour qui il y aura un avant et un après dans leur rapport à la nature.
Dans les milieux urbains et périurbains, quelles sont les priorités en matière de biodiversité ?
Arnaud Greth : En milieu urbain, la ville a besoin de la nature, mais la nature n’a pas vraiment besoin de… la ville ! La nature en ville est indispensable parce qu’elle nous amène tout un tas de services écologiques, y compris en termes de qualité de vie et de bien-être. On peut l’illustrer par exemple avec l’intérêt des parcs et jardins pour lutter contre les îlots de chaleur ou l’intérêt de l’agriculture urbaine. La nature aide la ville à mieux gérer l’eau, en particulier lorsqu’il y a des grosses pluies ou des inondations. Après, la ville représente une espèce de trou noir pour tout ce qui est des ressources naturelles. Nous devons réduire l’empreinte écologique urbaine ! Et le jardin, c’est le point de convergence de ces enjeux de biodiversité et de développement durable.
Marika Dumeunier : Il y a, à mon sens, trois grands enjeux. Le premier concerne l’artificialisation les sols. La ville se développe, s’étend et fragmente les terres avec des routes. Elle doit limiter son emprise au sol. Le deuxième enjeu, c’est la reconnexion de l’humain et de la nature. Dans la ville, l’expérience de la nature diminue. Il faut combler cela avec les sciences participatives ou la sensibilisation sur la nature en ville. Le dernier enjeu concerne la résilience climatique. La ville devient de moins en moins confortable à vivre au fur et à mesure que le réchauffement climatique avance. Nous avons absolument besoin de la biodiversité pour atténuer ces effets climatiques.
Pensez-vous que les bailleurs sociaux puissent jouer un rôle moteur dans la préservation de la biodiversité ?
Arnaud Greth : Travailler avec 3F, qui est convaincu de la démarche et prêt à diffuser des bonnes pratiques, c’est la possibilité d’avoir un effet de levier intéressant. Il y a aussi de la part d’un acteur du logement social comme 3F un devoir d’exemplarité, je trouve ça très important. Aujourd’hui un acteur économique et social qui n’a pas ce rôle, cette responsabilité sociétale, a raté quelque chose.
Marika Dumeunier : Nous sommes convaincu·es que la transition environnementale ne peut être que solidaire. Du coup, les bailleurs sociaux sont au cœur de cette ambition. Nous sommes ravi·es de travailler avec des entités pionnières quelque part sur ce mélange de social et d’environnemental.