ET CONCRÈTEMENT

Le design fiction, pour imaginer le logement de demain ?

 

En explorant de multiples scénarios fictionnels, les adeptes du design fiction se projettent dans un avenir où une pluralité de possibilités naissent et s’anticipent. Cette passerelle entre science-fiction et innovation s’applique aujourd’hui à tous les domaines, notamment celui du logement.   

 

Le design quoi ? 

Théorisé dans les années 2000 par l’auteur américain de science-fiction Bruce Sterling, le design fiction met l’accent sur l’immersion fictionnelle via des scénarios tangibles pour se projeter dans nos vies futures. Ce caractère immersif mobilise l’imaginaire, notamment sur le plan de la prospective, que les scénarios soient issus de la performance artistique, du design critique ou encore de la science-fiction classique. 

Ce champ du design permet de se confronter aux changements éventuels, de suspendre les résistances et les frictions dues à ces nouveaux paradigmes. Ces évènements probables se situent sur une palette allant du souhaitable à l’évitable. Mais attention cependant à sa propre mutation : même s’il est prometteur, le design fiction peut être émancipateur, mercantile, manipulateur, rebelle, omniprésent, initiateur, activiste, politique ou révélateur. Tout dépend qui l’emploie. C’est en tout cas la question soulevée par leDesign Fiction Club, dans un atelier organisé par la Gaîté Lyrique en 2019. Un an plus tard rebelote, la Gaîté Lyrique se projette encore plus loin avec un atelier autour de la banlieue du TURFU : « La pandémie de la covid-19 a jeté une lumière crue sur les quartiers populaires. Le même récit dystopique sur ces territoires se perpétue, des médias nationaux aux clips de rap, en passant par les conversations Whatsapp. Et si d’autres récits étaient sous nos yeux ? », peut-on lire en entête du programme.  

La théorie du design fiction a donc pour but de se préparer à l’avenir. Elle est employée dans divers domaines, notamment celui des villes et de l’habitat. Un secteur qui affecte la population urbaine, soit 54 % de la population mondiale. Comment et à quel prix ?

 

Le design fiction appliqué au logement : l’exemple du Citizen Rotation Office 

Le Citizen Rotation Office est un prototype d’expérience immersive et spéculative conçu par Luke Sturgeon, designer et fondateur de Greyspace, un cabinet de prospective et de conception de problèmes systémiques.  

Le scénario se déroule dans une époque imaginaire et non définie : face à l’augmentation des loyers, de nombreux Londoniens et Londoniennes ont des difficultés pour se loger, alors même que de nombreux logements sont vides. Le gouvernement tente de résoudre ce problème via des algorithmes basés sur les données personnelles et comportementales. La méthode est simple : analyse des réseaux sociaux et autres profils en ligne. Les individus sont ensuite associés à un quartier, à des évènements et lieux où seulement les sélectionné·es auraient accès. Changeant ainsi constamment les lieux de vie et par capillarité, le relief urbain. 

Selon Annouchka Bayley, spécialiste des approches post humaines à l’Université de Warwick, au Royaume-Uni, ce projet « mesure que les technologies se développent de manière exponentielle, introduisant l’utilisation du Big Data et des algorithmes plus profondément dans nos vies et nos communautés, à mesure que la taille et la quantité des villes intelligentes grandissent à travers le monde ».  

Cette fiction interroge donc le caractère du pouvoir des entreprises, voire de l’État, dans la vie quotidienne des citoyen·nes, au niveau du logement et l’expérience communautaire. Ces facettes du design fiction semblent mettre en lumière certaines limites.   

 

Les limites du modèle 

Si le modèle semble prometteur pour que l’espèce humaine puisse se projeter dans un futur dont elle connaîtrait les scénarios et les aboutissants, le Design Fiction Club émet toutefois quelques réticences à son sujet :  

    • Le design fiction est une illusion qui enferme dans des réalités fantasmées 
    • Tant que l’on en aura besoin, c’est qu’il existe une marge d’amélioration de la société 
    • Le design fiction est un flou assumé et dangereux entre faits et fake news 
    • Il est une arme de manipulation. Constructrices d’imaginaires positifs ou négatifs, les design fictions peuvent servir le développement de l’écologie politique comme de permettre aux populismes d’accéder au pouvoir 
    • Il permet de dissimuler les véritables problèmes. Faire croire à un changement futur et ne rien faire au présent 

Pourtant, interroger les problèmes contemporains reste nécessaire. Le design fiction permettrait selon Annouchka Bayley de développer des réponses affectives, d’incarner une pensée réelle et de se reconnecter à son espace. Alors qu’aujourd’hui, le design fiction est employé par le ministère des armées qui a réuni un collectif d’écrivain·es nommé la Red Team, dans le but de réfléchir à des scénarios de défense, les questions autour du logement, quant à elles, peinent encore à faire leur place. La suite au prochain épisode. 

 

 

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