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La ville inclusive : pour aujourd’hui ou pour demain ?

 

Composée d’une pluralité de personnalités, de corps, d’histoires, de genres, de milieux sociaux… la ville est le laboratoire sociétal d’aujourd’hui, pour en devenir, demain, la vitrine. Elle se pare d’une partition en crescendo sur les questions de l’inclusion, et tente d’y répondre allegro. Mais qu’est-ce que l’inclusion urbaine ? Comment se construit-elle ? Vers quelle ville tendons-nous ? Radar fait le point.

 

L’inclusion urbaine, késako ?

Dans leur article, « De quoi la « ville inclusive » est-elle le nom ? Exploration d’un concept émergent à partir de discours scientifiques et opérationnels », les urbanistes Garance Clément et François Valegeas définissent l’inclusion comme ceci : « La notion d’inclusion (active) s’est étendue à tout ce qui a trait à l’accès aux ressources offertes par la ville (…) et consiste à permettre à chaque citoyen, y compris aux plus défavorisés, de participer pleinement à la société, et notamment d’exercer un emploi ».

Dans ce même article, les travaux de l’anthropologue Charles Gardou sont cités. L’expert fait un parallèle entre inclusion, vulnérabilités et fragilités. Cette vulnérabilité serait la « condition commune » à tous les individus. « Partant de ce constat, l’inclusion aurait pour vocation de bousculer les normes et les classements, de rendre l’exclusion inopérante », ajoutent les deux urbanistes. Ceci étant exposé, comment cela se matérialise-t-il concrètement dans la cité ?

 

L’inclusion aurait pour vocation de bousculer les normes et les classements, de rendre l’exclusion inopérante

 

Un nouveau récit urbain

Alors que les histoires humaines peuplent généralement les pages de livres, elles battent quotidiennement le pavé des centres urbains et des périphéries. La ville se raconte au fil des plumes, des débats et de ses habitant·es. Aujourd’hui, en France, environ trois personnes sur quatre vivent en ville. Et de toute évidence, la ville a besoin d’un nouveau récit. Pour Éric Verdeil, chercheur au Centre de Recherches Internationales, les villes « ont toutes un travail d’introspection et d’analyse à faire (…), elles doivent faire un travail d’intelligence sur elles-mêmes pour se connaître mieux qu’elles ne se connaissent aujourd’hui », analyse-t-il sur les ondes de France Culture.

Dans ce même échange, Benoit Martin, membre de l’atelier de cartographie de Sciences Po estime qu’« il y a un basculement des logiques des grandes villes. On observe que le discours métropolitain dans nos villes aujourd’hui est amendé, notamment pour des questions d’inclusion, d’habitabilité et d’environnement ». Marie-Christine Jaillet, directrice de recherche au Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires du CNRS à l’université Toulouse-Jean Jaurès préfère, pour sa part, le concept d’une ville pieuvre et espacée qui intégrerait les individus à la marge : « La crise sanitaire et le confinement amènent les métropoles à réintégrer les périphéries et en particulier la périurbanisation », et d’ajouter : « Il faut réinventer un mode d’urbanisme qui prenne en compte les attentes. C’est la métropole comme fabrique de la société. Penser à un urbanisme qui va lutter contre les inégalités et les processus de ségrégation ». Les habitant·es font la ville, mais l’urbanisme aussi. Comment ?

 

Il faut réinventer un mode d’urbanisme qui prenne en compte les attentes

 

Architecture et design, façonner la ville inclusive

« Si le registre sémantique évolue, l’enjeu est l’habitabilité, le vécu et les attentes des citoyens », analyse Marie-Christine Jaillet tout au long de ses travaux. Et les architectes de se questionner. C’est le cas de Francesco Cingolani, architecte et designer. Ce dernier a fondé son travail sur les données pour construire les nouvelles zones urbaines en fonction des besoins et des envies de ses habitant·es. En prenant en compte les volontés individuelles : espace, luminosité, activité, et en utilisant la data. Cela a été fait dans le cadre du projet de campus de Clermont-Ferrand où étudiant·es, enseignant·es et encadrement étaient invité·es à coconcevoir le lieu, ou dans le cadre du projet « Dreamhamar » en Norvège, où chaque habitant·e pouvait collaborer à transformer et réhabiliter un parking délaissé en centre-ville. L’horizon de la ville inclusive s’étoffe alors en fonction des changements des modes de fabrication de la cité, orienté vers une mise en œuvre de projets urbains sur des bases partagées entre ses différent·es acteurs et actrices, tout en pensant « les villes dans les systèmes territoriaux pour intégrer le rural », déclare Marie-Christine Jaillet.

Pour l’architecte Patrick Bouchain, il faut repenser le logement avec ce qu’on a sous la main et le transformer en espace modulable, au fil des besoins. Sans oublier d’intégrer au sein des immeubles des espaces de travail ou des lieux culturels pour favoriser un réel melting pot. D’ouvrir, enfin, ce qui est à l’accoutumée réservé aux classes supérieures, aux classes moyennes et populaires. Il existe, aujourd’hui, une réelle appétence des citadin·es pour faire partie de la fabrique urbaine, mais il est nécessaire de les intégrer au cœur même du processus.
Ce système est particulièrement apprécié au Canada, dans la métropole du Grand-Menton où l’immigration est au cœur du projet urbain, démocratique et économique. Il se concentre autour de trois grands projets : attirer, intégrer et permettre la création d’entreprises. Au Canada toujours, à Montréal, depuis 2015 l’inclusion passe par l’investissement de tous et toutes dans les décisions municipales et la gouvernance de la ville. La participation à l’échelle locale est donc un point majeur des politiques d’inclusion.

Vers une philosophie participative

Être ou ne pas être ? Y vivre ou la quitter ? La ville soulève parfois des questions existentielles. Intégré·es par le centre ou la périphérie, les habitant·es ont besoin de se sentir concerné·es. L’inclusion passe donc également par la participation. Et les exemples se multiplient. La ville de Porto Alegre au Brésil ou encore Barcelone en Espagne, suivent ce modèle inclusif. Les citoyen·nes s’inscrivent dans le mouvement de démocratisation du débat public. Le géographe Herman van der Wusten confirme cette tendance : « les décisions collectives sont prises pour s’assurer que toutes les préférences, tous les intérêts sont pris en compte, et que les services publics sont accessibles à tous ». La ville inclusive fait naître une nouvelle méthode de gestion, un renouveau du modèle urbain et avant tout une mobilisation de l’ensemble des acteurs et actrices par différents procédés. Pour une ville plus égalitaire, plus sobre et dans l’air du temps, une seule solution, l’inclusion.

 

 

 

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