Julien Robillard : “En faisant des petits pas ensemble, on peut finalement arriver loin.”
Julien Robillard est consultant en transitions énergétique et numérique. Dans la région grenobloise, cet entrepreneur social porte le projet « Solaire d’ici », un réseau coopératif de partage d’énergie solaire.
Julien Robillard est un entrepreneur social. Après une carrière dans les services de la télécom en tant qu’ingénieur, Julien Robillard a décidé de changer de cap. Cela fait maintenant dix ans qu’il œuvre à l’émergence et au déploiement d’offres innovantes pour favoriser une transition énergétique ambitieuse. Depuis trois ans, il cible particulièrement le territoire grenoblois sur lequel il vit aujourd’hui. Avec l’aide d’Enercoop, un fournisseur coopératif d’énergie 100 % renouvelable dont il fut président jusqu’en 2013, et d’un collectif de citoyennes et de citoyens, Julien Robillard a créé Energ’Y Citoyennes (Y grenoblois) dont le premier projet, appelé « Solaire d’ici », vise au développement local de toitures solaires photovoltaïques. Cette société est de nature coopérative. Elle fonctionne entièrement sur la base du bénévolat de ses associé·e·s. Ces dernier·e·s assurent la recherche de toitures favorables, le montage des projets de toitures solaires, leur financement en capital et en dette, la sélection d’installateurs et le suivi de travaux, puis l’exploitation des installations. Aujourd’hui l’énergie produite est intégralement revendue dans le cadre des mécanismes d’obligation d’achats à des fournisseurs d’énergie.
Qui êtes-vous ?
Je suis Julien Robillard, 42 ans, père de deux enfants, ingénieur de formation. Pendant plusieurs années, j’ai travaillé en région parisienne, dans le domaine des télécom. En 2004, avec mon épouse, nous avons fait le choix de démissionner pour découvrir le monde pendant plus d’un an. Accompagné·e·s de nos sacs à dos, nous avons traversé notamment l’Asie et l’Amérique Latine. A notre retour, plus rien ne pouvait être comme avant.
J’ai toujours été très sensible aux questions environnementales et sociales. Originaire de Bretagne, ma famille y était très sensible. Au cours de notre voyage, nous avons été systématiquement confronté·e·s à des dégradations environnementales profondes aux conséquences humaines parfois lourdes, mais aussi à d’autres manières de faire. Un réel sentiment d’engagement est né de cela. Je ne pouvais plus accepter que notre société soit devenue une machine à broyer les humains et la biosphère. Pour moi, le levier stratégique de cette transition était l’énergie.
Je suis donc reparti travailler en région parisienne dans les télécoms. J’en avais besoin pour prendre du recul et me constituer une culture générale sur les questions de transitions énergétiques et citoyennes. Je me suis engagé aux côtés de Greenpeace, l’expérience était humainement et culturellement très riche, mais la posture de dénonciation bien qu’elle soit essentielle ne pouvait rapidement plus suffire. Il m’était impératif de passer à l’action.
J’ai alors découvert Enercoop qui émergeait seulement à l’époque. Soutenu par un groupe de structures sensibles à l’environnement et de l’économie sociale et solidaire, Enercoop avait été créé pour apporter une offre de fourniture d’électricité verte de référence qui n’existait pas alors en France. J’en suis devenu administrateur puis président au bout de deux ans. Je me suis alors frotté aux enjeux de gouvernance et stratégiques d’une telle coopérative faisant se rejoindre des enjeux industriels lourds avec un mode de fonctionnement participatif, inclusif et transparent. Dans le même temps, j’avais repris des études en ingénierie de l’environnement. Il est facile de se perdre face aux enjeux des transitions énergétiques et environnementales. Cette révolution est un vrai puzzle tant sont multiples les connaissances avec lesquelles il faut jongler pour y voir clair. Je cherchais à compléter ce puzzle afin d’avoir une vision globale sur des questions environnementales et sociétales.
En 2013, ma femme a eu une opportunité d’emploi à Grenoble. Nous avions depuis longtemps l’envie de nous y établir. Nous sommes donc parti·e·s. Je trouve ce territoire très intéressant. L’échelle urbaine, ni trop grande, ni trop petite, permet de mener des projets, sa topographie permet diverses mobilités. Son environnement et son tissu social en faisaient potentiellement un magnifique démonstrateur de ville durable et résiliente. Avec notamment la pollution de l’air et la fonte des glaciers visibles, il devait être possible d’envisager une réflexion autour du renouvellement des modes de vie.
En arrivant là-bas, je me suis mis à mon compte. J’alterne depuis des missions de conseil, des créations d’entreprises, la participation au lancement d’un tiers lieux sur les données ou des créations de projets faisant le lien entre la transition énergétique et la transition numérique avec à le souci de développer les renouvelables, de maîtriser les consommations et de redonner du pouvoir aux citoyens et aux collectivités qui historiquement n’étaient pas comptés dans le paysage énergétique.
Comment s’est construit le projet « Solaire d’ici » ?
Le projet « Solaire d’ici » est porté par la SAS Energ’y Citoyennes. Il vise à construire en trois ans l’équivalent de 100 toitures solaires citoyennes dans la métropole grenobloise. L’aventure commence en 2015, avec le directeur d’Enercoop Rhône-Alpes. Cela faisait quelques années que des expérimentations de centrales villageoises existaient en Rhône-Alpes. Il s’agissait de citoyen·ne·s qui se groupaient dans des villages pour investir en commun dans des toitures solaires. Nous voulions nous appuyer sur les retours d’expérience pour faire changer d’échelle ce modèle, le pérenniser et renouveler son ambition. Nous avons pris contact avec la métropole grenobloise pour développer notre projet. L’objectif était de rendre accessible et simple le développement des énergies renouvelables sur le territoire en permettant aux citoyen·ne·s et collectivités de se regrouper et de joindre leurs forces et capacités d’investissements pour, ensemble, développer, construire et exploiter des toitures solaires dont la propriété et les bénéfices soient partagés grâce à Energ’Y Citoyennes.
Le solaire est propice à ce type de projet car c’est une énergie fondamentalement modulaire. Un panneau coûte environ 500 euros pour une surface d’un mètre sur 1,2 mètre. En fonction du temps qu’on a pour monter et suivre les projets et des fonds dont on dispose il est simple d’ajuster la quantité de panneaux que nous décidons d’installer. L’ampleur des projets sont relatifs à la dynamique que l’on parvient à faire émerger sur un territoire. Nous voulions développer cette énergie de manière pérenne à l’échelle du territoire métropolitain.
Notre projet est inscrit dans le temps. Il nous faut développer un modèle stable avec des résultats concrets rapides. Nous avons alors bâti notre modèle économique et avons mené en propre ou grâce à des prestataires l’ensemble des études de faisabilité. Nous voulions que l’énergie créée profite aux gens qui investissent comme à ceux qui n’en avaient pas les moyens (non propriétaire ou sans les ressources pour financer un projet seul). Nous avons été largement soutenus par Enercoop Rhône-Alpes, la métropole, l’Alec et les communes. Dès l’été 2015 nous avons testé un premier appel à toitures. Le point positif est que nous avons eu de nombreux retours. Par contre faute de critères d’éligibilité suffisamment précis, de confiance des habitant·e·s et du fait de spécificités urbaines (toitures plus petites notamment) cet appel fut infructueux. L’amorçage du projet a alors pivoté pour se concentrer en premier lieu uniquement sur des toitures publiques : écoles, centres de loisirs, logements de fonction, église, etc.
Deux ans plus tard, nous sommes 79 associé·e·s sur le territoire, et Energ’y Citoyennes a levé 117 000 euros de capital. Nous avons déjà construit 12 toitures de 60 m2 (9 kWc), chacune permettant d’alimenter quatre foyers. Nous sommes parvenu·e·s à prouver sur notre territoire que créer de l’énergie autrement, c’est possible et, à notre échelle, que l’impact est significatif avec l’investissement de 79 associé·e·s qui permettent de produire dès le démarrage du projet la consommation de 48 foyers !
Comment fonctionne votre modèle ?
Fort de notre retour d’expérience, notre modèle va s’adapter pour être plus efficace. Aujourd’hui, sur les 49 collectivités, nous sommes en partenariat pour la transition avec dix d’entre elles. Quand nous arrivons sur leur territoire, nous identifions des toitures aptes à accueillir des panneaux solaires en fonction de la surface, de l’orientation, des ombres portées sur la toiture, de la distance au point de raccordement réseau mais aussi de leur état. Quand nous en identifions un pool de toitures pertinentes, nous engageons des démarches pour convaincre les citoyen·ne·s et collectivités de nous louer la toiture. Nous la louons ensuite à la commune via une convention d’occupation temporaire du domaine public sur 20 ans ou aux citoyen·ne·s via un contrat de bail, ce qui leur permet de dégager un revenu à partir de ces toitures. Nous installons les panneaux et en assurons la maintenance. Au bout de 20 ans, soit la commune ou la citoyenne ou le citoyen reprend possession de la toiture solaire et touche en direct les bénéfices de la production d’énergie qui devient une rente, soit elles et ils nous en laissent la gestion et continuent à recevoir un loyer. A titre, indicatif, au bout de 25 ans, un panneau solaire produit 80 % à 90 % de sa capacité initiale. Les installations solaires sont durables et nécessitent peu de maintenant finalement.
Quels freins subsistent au développement du solaire en France ?
En premier lieu la volatilité des tarifs d’achats qui changent tout le temps, avec des toitures faisable une année qui ne le sont potentiellement plus l’année suivante et rendent difficile l’apprentissage. Des réglementations jaillissent de temps à autre telle la règle des 250 mètres qui en cours de projet conduisait dans les faits à nous empêcher d’installer des toitures à moins de 250 mètres l’une de l’autre, or en ville il n’est pas rare de voir des bâtiments proches les uns des autres et il est normalement économiquement plus rentable de les faire en même temps.
La qualité du patrimoine bâti s’est avéré être également un frein. Certaines collectivités ont du mal à entretenir leur patrimoine. Face à une toiture en mauvais état, nous ne pouvons pas installer de panneaux solaires. De plus, très souvent les structures des bâtiments ont été conçues au plus juste pour faire des économies. Rajouter du poids peut facilement impliquer des renforcements coûteux.
Les coûts de raccordements au réseau électrique, portés intégralement par le porteur de projet pour l’instant qui sont peu transparents, connus tardivement dans le cadre d’un projet alors même que des frais ont été engagés et peuvent être parfois plus cher que le coût des installations solaires elles-mêmes.
Enfin, la culture est un frein majeur auquel nous sommes constamment confrontés. La filière solaire a été beaucoup décriée et le secteur reste somme toute encore trop peu connu du grand public. Il subsiste de nombreuses craintes et interrogations. Par exemple les banques sont encore trop frileuses dans l’accord de prêt pour des projets comme le nôtre et demandent des garanties bancaires qui n’ont pas lieu d’être. Les architectes peuvent croire que le solaire ne produit plus au bout de 20 ans et mettre en garde les propriétaires de toitures. Les bureaux de contrôle peuvent imposer des travaux autant coûteux qu’inutiles par manque de compétences et de recul sur le sujet. En accumulant les ceintures et bretelles à tous les niveaux on aboutit de façon logique à faire exploser le coût du solaire photovoltaïque sans qu’un bénéfice concret soit mesurable.
Globalement, ce qui freine encore l‘installation du solaire, et la transition énergétique en général, ce sont les mentalités. Nous n’avons pas vraiment pris conscience de l’urgence et portons lourdement le poids des visions passées. Chacun des acteur·rice·s impliqué·e·s dans la construction de toitures photovoltaïques sur le territoire d’une métropole applique dans la pratique ses idées reçues, avec des fonctionnements en silos. C’est vrai pour les collectivités, les entreprises et les citoyen·ne·s. L’enjeu d’aujourd’hui est de faire travailler tout le monde ensemble, de créer de la confiance, de constituer une culture commune qui impulse et valorise le changement de nos comportements et actions. L’implication des citoyen·ne·s est essentielle car ce sont eux qui peuvent en définitive avoir collectivement le pouvoir économique et politique à même d’aligner les actions. Si collectivement nous voulons la transition énergétique et que tout le monde y gagne alors elle adviendra. C’est là qu’est réellement notre enjeu de société, de savoir comment on implique les gens dans ce changement. Il faut créer l’engouement, notamment en démontrant que c’est possible, que c’est rentable, que la transition nous concerne tous et que pour cette raison tout le monde est légitime à donner son avis et à agir. Il faut créer du désir et de la confiance pour juguler tous les surcoûts qu’impliquent leurs absences.
Globalement, il y a une tendance qui se dessine en ce sens au niveau de la métropole grenobloise mais aussi sur de nombreux autres territoires urbains et ruraux. Cela ne veut pas dire que tout le monde est prêt à aller dans ce sens. Mais cela signifie que nous sommes déjà beaucoup et qu’on peut donc faire beaucoup de choses ensemble. Le potentiel des personnes à impliquer est énorme ! Notre enjeu de société est de faciliter ces implications de chacun en les rendant simples, concrets et de proximité. Il faut faire prendre conscience aux citoyen·ne·s, collectivités et entreprises que des possibilités existent. Nous avons commencé à cinq, nous sommes aujourd’hui 79 associé·e·s. C’est déjà un premier pas !
La vision qui nous pousse est de long terme mais nous restons humbles et les pieds sur terre. Nous creusons notre sillon à l’échelle qui nous est accessible. Nous souhaitons mettre en place des projets qui fonctionnent, en travaillant en bonne intelligence avec nos collectivités dans un objectif de pérennité. Nous plantons des piquets et avançons en faisant ensemble de petits pas. Mais in fine c’est l’accumulation des petits pas qui fait que nous pouvons arriver loin ensemble.