ET CONCRÈTEMENT

HLM et cinéma : quand la tour est jouée

 

Nombre de cinéastes français·es ont filmé les HLM et les banlieues pour tendre à la société le miroir de son époque. Comment les représentations de ces grands ensembles ont-elles évolué au fil du temps, sur grand écran ?

 

Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’Hexagone voit des barres d’immeubles pousser comme des champignons. De prime abord temporaires, ces tours s’ancreront dans le paysage français, tout comme leurs préjugés. Le cinéma, alors témoin de son temps, posera caméras et micros pour dépeindre la vie de quartier autour de ces architectures parfois monumentales.

 

L’impact du cinéma sur l’image des HLM

Pour Annie Fourcaut, historienne et spécialiste de la représentation de Paris et de sa banlieue, le cinéma a construit les imaginaires sociaux du siècle dernier : « Comme le roman pour la ville du XIXème siècle, c’est le cinéma qui, pour notre siècle, a défini les cadres de l’imaginaire urbain. Production culturelle collective au niveau de sa fabrication comme de sa consommation, il est un support privilégié de l’histoire des représentations, tout en constituant un langage propre », indique-t-elle, et d’ajouter : « Il permet donc d’appréhender les représentations d’une société, les stéréotypes durables issus des productions cinématographiques courantes comme les représentations novatrices et dérangeantes qui émergent de quelques films majeurs, qui réussissent à innover en subvertissant les conventions et en modifient les codes ».

Le cinéma français représente ces barres d’immeubles comme des quartiers morcelés, condamnés à la violence sociale et physique dont l’intégration aux territoires afférents plus aisés, plus centraux – pose éminemment problème. Pour les premiers réalisateurs qui se saisissent du sujet : Carné, Godard avant 1970, puis Kassovitz et Kechiche quelques années plus tard, le rôle de l’urbanisme est au cœur des problématiques. Le point de départ de tous leurs scénarios ? Une lecture bien souvent fataliste. Cette approche donnera un nouveau genre : le cinéma de banlieue.

 

La tour, actrice principale

Dans Tours et détours : 50 ans de banlieue au cinéma, Julien Neiertz, socio-anthropologue écrit que « le personnage principal et symbolique est la Tour » et s’explique : « dans l’univers « typé » de la banlieue – qui permet d’identifier aujourd’hui le banlieue-film du premier coup d’œil (c’est à dire que certains signes sont bien devenus des « stéréotypes »), la tour est immense, impersonnelle, pathogène et littéralement déshumanisante pour ses habitants ».

Présente de façon spectrale dans Le Thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef, où elle semble écraser les personnages du générique, la tour est également un lieu de passage organique comme dans La Haine de Mathieu Kassovitz. Selon le socio-anthropologue, elle représente « l’homogénéité de l’habitat, la fluidité des trajectoires entre le « devant-la-tour » et le « dedans-la-tour » dans lequel on pénètre aisément et régulièrement, la sociabilité de l’entre soi et la résultante souvent tragique de l’intrigue ». Et devient ainsi le personnage principal du film. Mais qu’en est-il des rôles « secondaires » ?

 

Évolution des protagonistes et changement de perception

Si les HLM sont centraux et restent intemporels, les protagonistes qui les habitent, eux, évoluent. Dans La Haine, en 1995, les trois rôles principaux : Hubert, Vinz et Saïd représentent l’oppression sociale et la France que l’on appellera plus tard « Black, Blanc, Beur ». C’est la France de la mixité et de l’isolement violent. 24 ans plus tard, la tour HLM reste centrale dans un film considéré comme un renouveau de La Haine : Les Misérables de Ladj Ly. Centré sur des habitant·es d’HLM, plus jeunes, intégrant la vision d’un policier de la BAC (Brigade Anti-Criminalité), le film dépeint un quartier autrement, notamment en ce qui concerne les relations entre les différents groupes (jeunes, habitant·es et policiers). Un film acclamé par le plus grand nombre et mieux considéré par la classe politique que le long métrage de Mathieu Kassovitz.

Retour en 2016, avec le film Swagger de Olivier Babinet. Un film-documentaire abordant les cités HLM sous le prisme de la couleur, du soleil et du sourire. On suit ici un groupe d’adolescent·es pêchu·es et fondu·es de vêtements excentriques. Un nouveau regard sur des barres d’immeubles et ses habitant·es où bien souvent la noirceur prend le pas sur l’identité de ces quartiers. Le cinéma d’Albellatif Kechiche noue également de nouveaux liens avec ce genre. Dans la douceur, L’esquive (2003), raconte une histoire d’amour adolescente dans laquelle le protagoniste utilise le biais d’une pièce de théâtre pour se rapprocher d’une habitante de la cité. Dans un autre rôle, les filles prennent le pouvoir dans Bande de filles (2014) de Celine Sciamma et Divines (2016) de Houda Benyamina, où drogue et sensualité se superposent. Le territoire des rêves (et de l’espoir, toujours) est plus récemment explorer dans Gagarine (2020) de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh : dans la cité éponyme d’Ivry-sur-Seine, menacée de démolition, un adolescent rêvant d’être cosmonaute, tente à tout prix de la sauver de son destin funèbre. Une autre image donc, ici amenée dans les salles obscures.

Au cinéma, les HLM ont donc bien plus d’une tour dans leur sac.

 

 

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