Glowee, les lumières de la nature au service de la transition énergétique
Alors que la transition énergétique est un enjeu majeur des villes de demain, des alternatives en matière de consommation sont envisageables. En particulier, la consommation énergétique liée à la production lumineuse prend une nouvelle tournure. Fondatrice de Glowee, Sandra Rey nous éclaire sur la méthode alternative développée par son entreprise pour proposer un système d’éclairage durable à la fois bio, producteur d’énergie et respectueux de l’environnement.
Pouvez-vous présenter votre parcours d’entrepreneure ?
Lorsque, en 2013, j’étais en dernière année de design, Glowee était un de mes projets. Par la suite j’ai poursuivi avec un parcours d’entrepreneuriat social en master à la fin duquel, j’ai eu beaucoup d’opportunités professionnelles autour de Glowee, ce qui m’a amenée à me lancer en tant qu’entrepreneure. Si le projet a démarré lorsque j’étais encore étudiante, l’entreprise est quant à elle réellement née à la fin de l’année 2014.
Comment fonctionne votre entreprise, Glowee ?
Chez Glowee, nous développons un système de lumière biologique grâce aux propriétés naturelles dont énormément d’organismes vivants ont l’usage, par exemples les champignons, les lucioles etc. Cette production de lumière correspond à ce que l’on appelle la bioluminescence. C’est une capacité que 80 % des animaux marins utilisent, afin de chasser, de se protéger… La lumière est créée à l’aide d’une réaction chimique produite grâce aux gènes des espèces.
Notre objectif est de se servir de ces gènes en les insérant dans des bactéries utilisées en laboratoire. Le but est de rendre ces micro-organismes de plus en plus performants sur la production de lumière, et de leur garantir le nécessaire pour vivre le plus longtemps possible afin qu’ils soient capables de provoquer cette réaction chimique bioluminescente en continu.
Ensuite, on enferme cette matière bioluminescente sous forme gélifiée dans des capsules. Ces capsules deviennent ainsi des unités de lumière qui sont 100 % autonomes et durent jusqu’à une semaine. En effet, à un moment donné elles ne peuvent plus donner de lumière parce qu’il n’y a plus de nutriments ou bien parce que les bactéries se sont trop reproduites.
Avec ce genre de technologie, nous proposons surtout des applications dans le domaine de l’événementiel. L’aspect est différent de celui de la lumière électrique : la luminescence est une lumière qui est belle, qui est douce, qui est même plutôt magique. Cette qualité esthétique est intéressante pour l’ambiance mais aussi au niveau de l’installation. Notre technologie devient donc une expérience bioluminescente immersives qui permet de faire découvrir ce type de lumière, d’en comprendre ses bienfaits et ses perspectives d’avenir. La technologie éphémère utilisée dans le cadre de l’événementiel s’adapte donc vraiment aux besoins en termes de temps et de lumière
Nous développons également un autre système qui est davantage liquide. Cela signifie que l’on peut ajouter des nutriments quand il n’y en a plus, évacuer les déchets quand il y en a trop… Ce système permet d’avoir de la lumière en continu. Dans ce cas, les applications concernent davantage les installations durables comme dans le paysage urbain, les lumières de jardin, de façade, de souterrain etc. Le but ici est de remplacer la lumière électrique dans les villes, en particulier dans un contexte dans lequel nous avons sans cesse besoin de lumière.
Vous disiez que la durée de vie est d’une semaine sur le système gélifié. Comment la fin de vie est-elle gérée ? Existe-t-il des manières de recycler vos produits ?
Concernant les capsules utilisées pour l’événementiel, toute la biomasse issue des micro-organismes peut être recyclée. On peut les insérer dans des circuits de revalorisation de déchets biologiques et chimiques, comme on en trouve dans les hôpitaux par exemple.
En ce qui concerne la technologie continue, la grande quantité de biomasse créée peut, en fin de vie, former du biogaz. Nous pouvons également faire en sorte que les organismes produisent des molécules pour fabriquer du plastique ou produire du bio-bitume… Les déchets de nos micro-organismes peuvent donc correspondre à une nouvelle source de matériaux biologiques.
Vous parliez de couleur magique… Qu’est-ce que ce type d’éclairage peut apporter dans le paysage urbain ?
Le principal avantage en termes de qualité visuelle, c’est vraiment sa douceur, à l’opposé de la grosse ampoule orange des lampadaires. Aujourd’hui, la pollution lumineuse et visuelle correspondent à un énorme enjeu lié au paysage urbain, parce qu’elle a des conséquences sur les écosystèmes d’insectes, sur la migration des oiseaux, sur la chute des feuilles, sur les hormones humaines etc.
L’objectif de cette lumière plus douce et plus maîtrisée est de diminuer la pollution lumineuse. Une étude récente a démontré qu’avec l’arrivée des LED, alors qu’on s’attendait à une baisse de la consommation et de l’amélioration de la qualité de lumière, en fait les intensités ont doublé en 5 ans ! Les LED sont plus performantes, éclairent davantage et posent donc de vrais problèmes de pollution lumineuse. Et comme elles sont plus économiques, leur nombre a énormément augmenté.
Notre ambition est donc de remplacer ce mode d’éclairage en diminuant les niveaux d’intensité, parce que nous n’avons pas besoin d’autant d’intensité de lumière pendant la nuit. Même pour la sécurité routière, l’intensité peut être diminuée sans danger, en atteignant une intensité plus raisonnable que celle qui est exigée par les textes réglementaires.
Cela signifie-t-il que l’intensité que vous produisez chez Glowee est maîtrisable ?
Oui et non. Pour le système en continu, on peut jouer sur la variation de différents paramètres pour changer l’intensité, mais nous essayons de toute façon de viser le maximum d’intensité, qui reste malgré tout raisonnable. Ce qui est intéressant en revanche, c’est que nous travaillons sur une matière lumineuse qui est surfacique, ce qui signifie que l’on va pouvoir compenser une intensité modérée en utilisant une surface plus grande et en éclairant donc autant.
Vous est-il possible de changer la couleur qui est produite dans vos laboratoires ?
La couleur dépend de l’espèce et des gènes utilisés. Chez Glowee, nous utilisons une très belle couleur qui est dans les tons bleu-vert. Nous pourrions développer d’autres couleurs mais il ne s’agit pas de notre priorité parce que celle que nous utilisons nous satisfait beaucoup. Avec d’autres couleurs, nous ne sommes pas certains que le rendu final soit aussi convainquant. Mais cette idée est quand même dans un coin de nos têtes.
Par ailleurs pour changer de couleur, deux méthodes s’offrent à nous : il faut soit solliciter une autre espèce, ce qui implique de recommencer toutes nos recherches parce que la séquence de gêne n’est plus la même. C’est donc très complexe. Nous pouvons en revanche utiliser une technologie développée par les méduses. Elles sont capables de se servir de leurs capacités luminescentes pour créer plein de couleurs différentes par le biais d’un transfert d’énergie. Cette technologie existe déjà et permettrait en effet de modifier la couleur sans devoir changer l’espèce.
Vous êtes semble-t-il une adepte du biomimétisme. En quoi cette notion peut-elle être une solution pour une ville énergétiquement durable ?
Nous constatons que depuis 4 milliards d’années, la nature fait de la recherche et développement (R&D) pour trouver les solutions d’évolution les plus efficaces. Et avant que l’humanité n’arrive et ne dérange tout le système, la nature fonctionnait très bien. C’est l‘usine la plus propre qui soit, puisque tout est naturellement recyclé. À partir de ce constat, on en vient à se dire qu’avec toutes ces années d’évolutions naturelles, les réponses sont forcément sous nos yeux, dans la nature. Les animaux sont capables de faire de la lumière sans électricité, tandis que nous sommes capables de coder leur ADN. Il n’y a donc pas de raison de ne pas reproduire ce que les animaux font avec notre technologie. Il faut profiter de notre époque durant laquelle nous comprenons comment fonctionne la nature, et durant laquelle nous pouvons reproduire ses compétences.
Quels sont les prochains défis que l’entreprise a l’ambition de relever ?
Sur le plan de la R&D, nous visons toujours d’augmenter l’intensité de nos produits, ainsi que de leur stabilité. Nous sommes en effet en présence d’organismes vivants donc il y a plein de paramètres qui entrent en compte sur leur croissance, leur développement etc. Nous avons également pour objectif de réduire les coûts de manière à être vraiment compétitifs sur le marché.
Mais notre plus grand challenge est de faire comprendre qu’on ne vient pas simplement changer une ampoule, on vient changer des méthodes de production, changer la manière d’illuminer… Nous essayons de mettre en avant le fait que la lumière peut désormais devenir une source de production d’énergie. Nous essayons donc de faire évoluer ces visions, notamment dans le domaine de l’énergie, de la construction ou des collectivités. Nous essayons d’entrer dans les chaînes de valeur des personnes avec lesquelles nous travaillons en leur offrant une nouvelle brique écologique dans le cadre de leur gestion de l’éclairage.
Je pense que la prise conscience est derrière nous. Ce qui est important maintenant, c’est l’action. Tout le monde veut trouver des solutions plus performantes et plus efficaces pour améliorer le confort et la performance énergétique, mais agir est plus compliqué et le pas à effectuer est d’autant plus difficile dans un monde qui est aujourd’hui très lent.
Le challenge est réglementaire. Aujourd’hui les lois ne sont pas adaptées à l’utilisation de notre produit dans le paysage urbain. Nous utilisons des organismes modifiés, ce qui signifie que nos produits entrent dans la catégorie des OGM. Cette catégorie a été légalement pensée pour être utilisée dans les laboratoires ou dans l’agriculture alimentaire. Pas dans l’éclairage public ! Nous savons pourtant que les risques liés à notre méthode sont nuls, qu’il n’y a pas de danger pour la santé. C’est la raison pour laquelle il est important de trouver un cadre réglementaire qui corresponde à notre métier, mais c’est très compliqué…