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Doris Kim Sung : « L’architecture fera partie intégrante de la nature »

 

L’architecte américaine Doris Kim Sung, biologiste de formation, est à l’origine d’une innovation que les médias ont rapidement surnommée le « métal qui respire ». En réalité, son idée est d’utiliser des plaques recouvertes sur chaque face de deux métaux aux propriétés thermiques différentes. Exposés à la chaleur, les deux métaux réagissent de manière différente et les plaques se courbent naturellement pour cacher le soleil et faire circuler l’air.

Photo de Doris Kim Sung

Avec ce matériau, qui s’inspire des capacités régulatrices de la peau humaine, Doris Kim Sung a construit des structures qui enveloppent les immeubles et les aident à réguler la chaleur et la circulation de l’air sans avoir besoin de système de climatisation. On entrevoit aisément les opportunités pour son innovation en Californie, où elle est basée. Mais l’architecte assure que son idée pourrait être exportée partout dans le monde. Et, dans ses travaux les plus récents, elle continue d’explorer la manière dont l’architecture peut s’inspirer de la nature pour être davantage en symbiose avec son environnement.

Comment et pourquoi avez-vous eu l’idée du « métal qui respire », ce que vous appelez les biométaux thermiques ?

 

Je m’intéressais depuis longtemps à la question suivante : pourquoi l’architecture n’est-elle pas aussi changeante et flexible qu’un vêtement ? J’avais aussi un fort intérêt pour les défis liés au réchauffement climatique et à la protection de l’environnement. Pour moi, l’architecture est presque en résistance par rapport à l’environnement, alors qu’elle devrait tenter d’en embrasser les contours et de s’y adapter.

 

Vous avez une formation de biologiste. Dans quelle mesure votre travail est-il inspiré par la nature ?

Pour être honnête, ça ne s’est pas produit de manière très consciente. C’était plutôt subliminal : mes intérêts étaient la biologie et la méthode scientifique, que j’ai transférée dans mon expérience du design, notamment pour ce qui concerne l’esthétique. J’ai commencé à m’intéresser aux exemples qui existent dans la nature, comme celui du pangolin, qui peut ouvrir ses écailles pour réguler sa température. Mon travail est de plus en plus inspiré par la biologie, mais au début c’était plutôt accidentel.

Réalisation de Doris Kim Sung

 

Pourquoi comparez-vous votre innovation à la peau humaine ?

Quand vous regardez la peau de certains animaux, parmi lesquels les humains, il y a tellement de choses qu’elle est capable de faire. Elle est en première ligne pour défendre notre corps face aux changements de température et aux agressions extérieures. Mon idée, c’était donc de construire des enveloppes qui feraient la même chose, au lieu d’avoir des bâtiments qui ont une « peau » très épaisse et ont donc besoin de systèmes de chauffage et de climatisation pour faire tout le boulot. Je voulais renverser l’approche dans l’architecture.

 

Vous avez également dit qu’avec ce projet, vous aviez l’ambition de nous affranchir de notre dépendance à l’électricité. Pensez-vous que le futur sera fait de plus en plus d’innovations « off-line », non connectées et mécaniques ?

Je pense que nous devrions aller vers un monde sans aucune dépendance à l’électricité, si c’était possible. Ce serait fantastique de ne plus en dépendre. Cela ne veut pas dire aller vers un monde sans électricité. Mais il y a des matériaux qui n’ont besoin ni d’électricité ni d’ordinateurs pour fonctionner, et il faudrait explorer cela davantage. La technologie, c’est merveilleux, mais il nous faut trouver le bon équilibre pour ne pas trop en dépendre. Aujourd’hui, s’il y a une panne d’électricité dans un immeuble de bureaux, nous sommes obligé·e·s de le faire évacuer car les occupant·e·s ne peuvent pas travailler sans climatisation : ce serait fantastique de pouvoir compter sur des systèmes qui peuvent continuer à fonctionner sans énergie. C’était mon objectif depuis le début de ce projet. Et je pense qu’il a le potentiel pour être développé n’importe où dans le monde.

 

Justement, c’est une des critiques qui ont été faites au « métal qui respire » : est-ce une idée de designer·euse qui ne restera accessible qu’à quelques-un·e·s ? Ou est-ce qu’il pourra être un jour produit pour le grand public ?

C’est difficile à dire, mais c’est un matériau qui n’est vraiment pas cher et qui est léger. Évidemment, il a une empreinte carbone liée à sa fabrication, comme pour tout objet ou matériau. Mais il a besoin de zéro énergie pour fonctionner. À terme, je pense qu’il pourra être produit en série. En ce moment nous travaillons même avec des chercheur·euse·s qui veulent voir s’il pourrait être utilisé dans des régions très reculées, et pourquoi pas sur la Lune ! Mais nous travaillons aussi sur la notion d’auto-assemblage pour pouvoir construire des solutions de logement très rapidement, pour des camps de réfugié·e·s notamment.

 

Le biomimétisme dans l’architecture et l’urbanisme peut-il offrir des solutions pour consommer les ressources de manière plus responsable ?

Techniquement, il y a une différence entre le biomimétisme, qui copie de manière très précise et scientifique des structures ou comportements visibles dans la nature, et la « bio-inspiration », l’innovation inspirée par la nature. Ce que je fais, c’est plutôt bio-inspiré. Je pense qu’il faut aller vers des bâtiments qui ont une peau comme celle d’un animal pour jouer le rôle d’intermédiaire entre l’intérieur et l’extérieur. En ce moment, nous réfléchissons à comment faire fonctionner un bâtiment comme une plante, afin qu’il ne se concentre pas que sur ses occupant·e·s à l’intérieur mais qu’il contribue aussi à l’environnement extérieur, par exemple en filtrant l’air. Une plante absorbe du dioxyde de carbone et émet de l’oxygène, elle est en relation avec son environnement. L’architecture peut et doit prétendre à cette relation symbiotique, plutôt que de conserver une position égoïste, qui ne fait que prendre des ressources : il faut aussi qu’elle puisse donner.

 

Quelle est votre vision de la ville du futur ?

J’ai hâte du futur et je le redoute en même temps ! Grâce à l’intelligence artificielle, qui effraie en même temps qu’elle offre des possibilités, j’imagine que nous irons vers des villes plus automatisées et réactives. L’architecture deviendra une partie intégrante de la nature, plutôt que de continuer à s’y opposer. J’imagine une ville qui ne sera pas figée, toujours en mouvement.

 

Sources : Détails d’architecture

 

 

 

 

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