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Contrats à impact social, le retour ! 

 

 

Contrat à impact social : partenariat entre le public et le privé destiné à favoriser l’émergence de projets sociaux et environnementaux innovants. Ces contrats permettent le changement d’échelle de solutions identifiées sur le terrain et efficaces. L’investisseur privé et/ou public préfinance le projet et prend le risque de l’échec en échange d’une rémunération prévue d’avance en cas de succès. L’État ne rembourse qu’en fonction des résultats effectivement obtenus et constatés objectivement par un évaluateur indépendant.  Source : ministère de l’économie, des finances et de la relance 

 Les contrats à impact social ? Bercy y voit une opportunité pour financer la relance des acteurs de la solidarité après la crise du Covid. De quoi révolutionner l’État-providence ou plutôt offrir la possibilité de marchander des missions sociales ? On fait le point. 

 

« Face à la crise et ses profondes conséquences sur le sans-abrisme et l’hébergement, l’ESS a des réponses très concrètes qu’il faut faire passer à l’échelle. Foncière solidaire, contrat à impact… Avec @EmmWargon, nous avons des idées communes pour pousser ce qui marche », voici un tweet récent d’Olivia Grégoire, secrétaire d’État à l’économie sociale, solidaire et responsable. La crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons sera-t-elle celle qui adoubera enfin ces fameux contrats, comme semble le souhaiter le gouvernement ?  

 En attendant de passer cette crise, la secrétaire d’État accélère le mouvement avec la Banque des Territoires dans le cadre du lancement, en novembre dernier, d’une convention pour agir sur le renforcement de l’accompagnement des entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS). 300 millions d’euros seront mobilisés pour cette relance. Et le partenariat est plutôt explicite sur l’une de ses intentions : cap sur le recours massif aux contrats à impact social ! Retour sur les origines et les enjeux de ces nouveaux financements. 

 

Une mission dédiée après des débuts hésitants 

 C’est en 2016 que le contrat à impact social commence à faire parler de lui en France. Tandis qu’il se développait fortement dans le monde, ici, il a dû lever quelques freins avant de revenir sur la table en cette délicate rentrée sociale. Et pour cause, Christophe Itier, ancien hautcommissaire à l’Économie Sociale et Solidaire a jugé nécessaire de lancer une mission dédiée l’année dernière pour tenter de populariser ces contrats auprès du secteur de l’ESS, notamment grâce à une boîte à outils.  

 Pour développer son recours, le gouvernement a mis la main au portefeuille : trois contrats à impact ont été signés en mars 2019 avec Article 1 (une association qui développe le parrainage des jeunes en difficulté par des professionnel·les), La Cravate Solidaire (une association qui travaille sur l’accompagnement vestimentaire pour les personnes éloignées de l’emploi) et Wimoov (une association qui facilite le retour à l’emploi des personnes en situation de précarité de mobilité). 

 

Un nouveau souffle avec la lutte contre le sans-abrisme ? 

 C’est bien l’ambition d’Olivia Grégoire qui, avec une nouvelle version simplifiée, souhaite aller plus loin avec ces contrats : « Il est temps de mettre la finance au service de l’économie sociale et solidaire », lit-on dans le communiqué émanant de son cabinet. Un peu comme ce qui se fait déjà au Royaume-Uni et aux États-Unis ? La plupart de ces contrats ont été mis en œuvre chez nos voisin·es britanniques qui revendiquent 15 contrats pour un total de 14,7 millions d’euros et surtout dans le domaine de la lutte contre le sans-abrisme.  

 

Il est temps de mettre la finance au service de l’économie sociale et solidaire 

 

Il faut dire que l’outil a gagné en popularité ces dernières années, et la crise du Covid semble plus que jamais motiver les investisseurs. Rien qu’en avril dernier, 12,7 milliards de dollars d’obligations à impact social* ont été émis dans le monde, soit plus que le montant levé pour l’ensemble de 2019, ce qui porte le total depuis le début de l’année à environ 85 milliards de dollars, rapporte l’agence de presse Reuters. Et les projets se multiplient en Europe ! Madrid a lancé fin juillet son tout premier contrat à impact avec la Banque européenne d’investissement. Forte de cet accord, la capitale espagnole entend sortir les personnes vulnérables d’habitations temporaires et les aider à gagner en autonomie.  

 Seule contrainte : prouver, par le biais de méthodologies de mesures d’impact, que les objectifs ont été atteints. Comme toujours avec ces contrats, le retour sur investissement sera au rendez-vous si et seulement si le programme se révèle efficace. 

 

Un outil qui ne fait pas toujours consensus 

 

Ce qui s’opère à Madrid préfigure-t-il de ce qui pourrait arriver dans d’autres municipalités européennes pour notamment mettre un terme au sans-abrisme ? Les indices d’un tel scénario sont bien là : « Nous investissons non seulement des milliards d’euros pour sauver des emplois en Europe et réduire l’impact social de la pandémie de coronavirus, mais nous le faisons également en émettant des obligations sociales. Cela donnera aux investisseurs la possibilité de contribuer à nos efforts et jusqu’à 100 milliards d’euros aideront à maintenir les gens dans l’emploi dans nos États membres», s’est récemment exprimée Ursula Von Der Leyen, la présidente de la commission européenne. 

 Malgré la simplification de ces contrats mise en œuvre par notre gouvernement, les premiers pas madrilènes et le volontarisme affiché de l’Union Européenne, des inquiétudes fortes demeurent. Quand certain·es parlent même d’une rupture idéologique dans la construction de l’action sociale. D’abord en France, où les levées de boucliers se multiplient ces derniers mois pour dénoncer ces nouveaux montages financiers : « Du point de vue de l’intérêt général, c’est une escroquerie. Cela permet de faire payer aux autorités publiques des opérations financières dans le domaine du social », explique Jean-Claude Boual, du Collectif des associations citoyennes. Selon Nicolas Chochoy, directeur de l’Institut Godin, un cabinet d’étude de l’économie sociale et solidaire, c’est la notion de performance qui est problématique : « On prône l’innovation et l’expérimentation, mais en réalité on veut tout mesurer pour réduire l’incertitude inhérente à toute expérimentation. Dans un monde complexe, il est déjà compliqué d’isoler la variable qui permet de prouver le lien entre une action et un impact. Pour nous, il y a un paradoxe encore plus grand dans le fait d’allier innovation et impact social ». Pas d’unanimité non plus dans les pays anglo-saxons, à l’instar du Canada, où le documentaire, The Invisible Heart, a souhaité « révéler les défis associés à l’introduction d’une incitation au profit dans la prestation de services sociaux ». L’autre enjeu de ce film ? Que les citoyen·nes prennent conscience d’un véritable changement de paradigme.  

 

Il y a un paradoxe encore plus grand dans le fait d’allier innovation et impact social

 

Avant de s’engouffrer dans une telle transformation, c’est peut-être la première chose à faire : offrir à tous et toutes les clés de compréhension des contrats à impact social. Les citoyen·nes savent qu’il faudra trouver les moyens pour se relever de la crise du Covid« Quoi qu’il en coûte », comme aime à le rappeler notre président ? 

 

 

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