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Comment le Covid pourrait modifier la construction des logements sociaux  

 

 

 

« Globalement, cette crise va faire réfléchir sur ce qu’est le confort aujourd’hui. Le confort, ce n’est pas seulement avoir une salle de bains. C’est vivre dans un lieu bien conçu, lumineux, où le mouvement est facile », projette Monique Eleb, spécialiste de la question de l’habitat dans une interview au Télégramme. Tandis que la crise écologique modifie depuis des années nos perceptions et nos besoins en matière d’habitat, le Covid bouscule nos imaginaires et met un peu plus à l’épreuve nos lieux de vie. Ainsi, le Covid pourrait bien marquer un nouveau tournant dans la construction et la rénovation des logements sociaux.

 

Quand le Covid réinterroge la densité…

Globalement, le confinement a été bien accepté par l’immense majorité des Français·es. Mais sans surprise, la manière de vivre la crise sanitaire est très dépendante du niveau de vie. Une enquête de Ipsos-Sopra Steria pour le Cevipof révèle par exemple que 24 % des locataires d’un logement dans le parc HLM, contre 10 % des propriétaires dans le parc privé, déclarent que leur quotidien est désagréable. Selon la même enquête, le Covid serait un amplificateur des inégalités sociales déjà installées dans la société française. « La relation intense avec nos maisons met en évidence leurs faiblesses : espaces sacrifiés à des fonctions préétablies, couloirs vides, espaces trop cloisonnés pour vivre ensemble, pièces trop petites, trop grandes, trop nombreuses ou trop peu nombreuses. La crise actuelle remet en question nos modèles d’habitat, les met à l’épreuve », décrivent les architectes Alice Braggion et Alessandro Carabini dans le cadre de « Et demain on fait quoi ? », un forum à l’initiative du Pavillon de l’Arsenal qui permet à chacun et chacune de contribuer, changer et envisager ensemble « l’après ».

 

« La crise actuelle remet en question nos modèles d’habitat, les met à l’épreuve », Alice Braggion et Alessandro Carabini, architectes

 

Petit-déjeuner dans le jardin au soleil, télétravail dans la véranda… l’espace extérieur est devenu en quelques jours le nouveau graal, une réjouissance, un véritable lot de consolation pour les Français·es confiné·es. Les chanceux·ses pouvaient pleinement profiter de tous les attraits de leur maison quand quelques urbain·es ont retrouvé leur maison secondaire malgré les interdits du ministère de l’Intérieur. Mais le confinement ne recouvre pas en effet les mêmes réalités et s’est avéré plus ou moins douloureux pour les Français·es. La crise met à jour les limites de la densité et incite à la réinterroger. De façon à la ré-enchanter ? « La notion de densité urbaine va se nuancer de paramètres multiples, intégrant les espaces naturels, la biodiversité, l’agriculture, le climat. Quant aux espaces construits ils doivent pouvoir se redéployer, se mutualiser, se redéfinir en fonction des situations. Allons vers une densité vécue : hybride, adaptable et partagée. La densité quantitative doit laisser place à la densité sensible », projette l’architecte Jacques Ferrier .

 

« La densité quantitative doit laisser place à la densité sensible », Jacques Ferrier, architecte

 

… et le confort

Saviez-vous que notre logement impacte plus notre bonheur que notre travail ou notre salaire ? C’est le résultat d’une étude menée par l’Institut de recherche sur le bonheur qui rappelle que notre logement est un grand oublié de notre quête du bonheur. Et savez-vous ce qui est en tête des mécontentements quand on parle logement ? Le manque d’espace ! Le Covid a sans doute mis à jour et renforcé cette nécessité. De quoi construire des jardins pour tous les habitant·es des logements sociaux ? « On ne pourra pas répondre à l’aspiration de tout le monde à avoir un jardin, on n’en viendra pas à bout avec la zéro artificialisation nette. Par ailleurs, tout le monde n’a pas forcément envie de jardiner tout le week-end », explique Marianne Louis, directrice générale de l’Union sociale pour l’habitat (USH).

 

« On ne pourra pas répondre à l’aspiration de tout le monde à avoir un jardin, on n’en viendra pas à bout avec la zéro artificialisation nette », Marianne Louis, directrice générale de l’Union sociale pour l’habitat

 

En revanche, l’USH réfléchit davantage à la création d’espaces privatifs partagés : « Un espace privatif partagé, c’est à la fois un lieu de confort de vie et aussi un lieu de convivialité. Et on voit toute la différence entre les immeubles qui n’ont pas d’espace extérieur et dès qu’il y a une cour ou un jardin partagé, un espace privé réservé à l’immeuble, il y a une communauté de voisinage qui se crée », pense la directrice générale et qui ajoute : « Cela crée une communauté de vie et ça, c’est quelque chose qui doit nous faire réfléchir dans tout le travail que l’on fait sur la rénovation du parc. C’est à dire qu’à l’échelle de chaque immeuble, il y ait des espaces verts privatifs dès que c’est possible, il faut qu’on l’encourage ».

Mais les réflexions du secteur du logement social ne s’arrêtent pas à cette nécessité de construire plus d’espaces partagés, elles s’attardent également sur les mutations liées à l’émergence du télétravail même si les locataires de logements sociaux ne sont pas forcément les plus concerné·es, tempère Marianne Louis : « Néanmoins, cela mérite que l’on regarde cette question. C’est-à-dire, comment on repense les espaces pour rendre cela possible. Le télétravail, c’est un petit espace mais bien individualisé alors qu’on a tendance à ouvrir les espaces, à l’image des cuisines américaines. Des limites qui se jouent aussi pour des raisons de norme, notamment pour des normes d’accessibilité handicapé qui ne nous permettent pas toujours de faire des petits espaces fermés ».

On le sait, d’autres crises sanitaires sont malheureusement à prévoir. En attendant, les locataires peuvent compter sur les architectes pour développer de nouveaux imaginaires et sur les acteurs du logement social, qui fidèles à leur mission d’intérêt général, chercheront toujours à intégrer ces mutations.

 

 

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