Rencontre avec Margaux Mantel, coordinatrice du CHÂTEAU de Nanterre

Le CHÂTEAU de Nanterre a une longue histoire industrielle, rythmée et marquée par une évolution depuis le début du 19ème siècle, qui a permis une constante adaptation par le renouvellement de ses fonctions. Aujourd’hui, la bâtisse entièrement rénovée réunit différentes personnes et projets pour créer un écosystème à impact positif. Le lieu, ainsi repensé, est devenu un laboratoire d’innovation sociale et et de transition alimentaire.
Nous avons interviewé Margaux Mantel, chargée de projet au CHÂTEAU de Nanterre, afin de la questionner sur ce tiers-lieu, son fonctionnement, et l’intérêt de ces nouveaux espaces hybrides pour nos villes de demain.
Comment est né ce projet au sein du Château de Nanterre ?
“Ce CHÂTEAU ne date pas d’hier. C’est un lieu un peu spécial. Au début du 19ème siècle, il abritait une usine de dentifrice, puis il est devenu le siège de Natalys, une entreprise de confection de vêtements de puériculture. En 2006, le lieu emblématique, aussi nommé usine du Docteur Pierre (marque du dentifrice) est déserté. En 2010, sous l’impulsion de la Mairie, le lieu se voit dessiner un nouvel avenir. La ville souhaitait revaloriser le patrimoine industriel du CHÂTEAU de Nanterre, mais dans une logique d’économie positive avec un projet qui ait du sens. Ainsi, elle a donné mandat et confié cet ensemble à la SEMNA, une société d’aménagement, pour le restaurer.
C’est donc pour monter ce projet de revalorisation que la SEMNA a sollicité Etic. Nous sommes une entreprise qui crée, finance et ensuite gère des espaces dédiés à des acteur·rice·s du changement, en proposant différents services comme des bureaux privatifs, du coworking, mais aussi des commerces.
La SEMNA et la Caisse des Dépôts sont nos partenaires et ont investi dans la rénovation avec Etic ; le reste a été financé par des prêts auprès de plusieurs banques. Etic dispose d’un bail emphytéotique de 50 ans qui permet d’amortir le coût des travaux, ce qui témoigne notre volonté de gérer un projet qui dure dans le temps et a aussi permis de garantir une restauration de qualité pour les façades extérieures à l’esthétique typique de la Belle Epoque.
Durant une année, en 2016, avant notre installation et les travaux, le collectif d’artistes Soukmachines a investi la friche, un souvenir percutant pour les habitantes et les habitants qui ont vraiment apprécié cette expérience, ce qui leur a aussi permis de se réapproprier le lieu. La restauration a donc eu lieu de début 2016 à juin 2017 pour une ouverture en septembre 2017.”
Le Château de Nanterre, c’est aussi un écosystème d’acteurs et d’actrices ? Comment cela se concrétise-t-il ?
“Aujourd’hui, il s’agit d’un lieu qu’on pourrait qualifier de “centre d’affaires”, même si on n’apprécie pas vraiment ce terme, notamment parce qu’il est dédié à l’Economie sociale et solidaire (ESS). Il est hybride à l’image d’un tiers-lieu. Nous, Etic, nous gérons ce lieu et veillons à le consacrer à l’accueil de personnes engagées positivement. Cependant, nous n’accueillons pas seulement des acteur·rice·s impliqué·e·s dans le domaine de l’ESS, avec par exemple la présence d’une maison d’édition. Mais nous avons une charte au sein d’Etic qui définit le mode de fonctionnement et les valeurs qui guident nos choix. Pour faire le tri dans les candidatures, je fonctionne donc au “feeling”, mais aussi en fonction des volontaires déjà présent·e·s. C’est essentiel de créer des complémentarités et des synergies au sein du lieu entre résident·e·s.
Pour nous, gérant·e·s du tiers-lieu, il est important d’avoir des personnes investies dans l’animation du lieu, afin qu’elles·ils s’approprient pleinement leur lieu de travail, pour notamment créer des projets ensemble. Ma mission, c’est de dialoguer avec l’ensemble de ces personnes, de connaître leurs besoins et de veiller à permettre qu’elles·ils s’engagent pleinement dans la vie du Château. Les animations proposées sont à l’initiative des résidentes et résidents et notre optique, c’est de co-construire le lieu afin que chacun·e s’approprie son espace de travail. Cela a aussi un impact sur l’ambiance générale.”
D’ailleurs, quels sont les espacesque nous retrouvons au Château de Nanterre ? En quoi s’agit-il d’un tiers-lieu?
“Nous proposons différents espaces de travail, avec des bureaux fermés, du coworking, des commerces. Cela permet un mélange intéressant. Par exemple, les cellules commerciales sont tenues par de nouveaux·elles entrepreneur·euse·s, notamment ceux qui ont démarré leur activité avec le Château. Mais cela pourrait être autre chose, comme une épicerie, ou un autre élément fédérateur, à l’image d’autres sites tenus par Etic.
La configuration de ce tiers-lieu a par exemple permis à Foodentropie de tenir et gérer un “restaurant événementiel”, avec une salle événementielle d’une part et un restaurant d’autre part, deux espaces complémentaires en faveur de la transition alimentaire. Le restaurant est ouvert au public, parfois réservé à des acteur·rice·s privé·e·s pour des évènements, et d’ailleurs la salle possède une scène. Ces deux lieux sont tenus par Foodentropie qui propose l’accueil d’événements autour de la thématique de l’alimentation.
Au rez-de-jardin, United kitchen propose une cuisine partagée et mutualisée, sorte de Fab-lab alimentaire qui loue des cuisines équipées de matériel pour les professionnel·le·s qui se lancent dans l’alimentation durable, comme par exemple Tom Pousse qui propose des fromages végétaux. C’est une sorte d’incubateur culinaire, qui souvent travaille de pair avec Foodentropie.
Autre membre actif·ve de l’écosystème, l’association Endat, dont l’action porte sur la problématique des troubles et comportements alimentaires et qui tient un potager nommé “Les madeleines enracinées”. Aujourd’hui, elles·ils montent différents projets, comme un potager thérapeutique en permaculture. En échange du terrain mis à disposition, elles·ils organisent dans le lieu des animations pour les résident·e·s et le grand public.
A côté de cela, Etic propose au sein du Château des bureaux libres et du coworking, ce qui fait venir sur le site tout un ensemble d’acteur·rice·s diver·se·s, tel que des travailleur·euse·s indépendant·e·s, associations, pas forcément centré·e·s sur les questions d’alimentation.
Notre enjeu c’est de fédérer cet ensemble d’acteur·rice·s pour qu’elles·ils puissent ensuite s’entraider pour leur développement, notamment en répondant ensemble à des appels à projet. L’intérêt de ce lieu hybride, c’est de faire cohabiter des services très divers et un écosystème de personnes engagées complémentaires, car cela permet d’imaginer des produits nouveaux grâce à la rencontre d’acteur·rice·s varié·e·s qui vont pouvoir travailler ensemble sur des projets en commun.”

Quelle est votre rôle précisément en tant que gestionnaire de ce lieu ?
“Mon ambition n’est pas de faire de l’animation mais plus de faire du lien entre tous et toutes pour faire émerger des projets. J’aime dire que notre action est d’être facilitateur·rice. Tous les trois mois, je réalise un Comité de résidents pour faire évoluer le lieu au mieux, selon les besoins. Et peu à peu, les résident·e·s s’approprient leurs espaces de travail pour créer de nouvelles choses.
Tout de même, cela requiert beaucoup de patience et de pédagogie pour faire comprendre ce qu’est le lieu. La diversité de tous et toutes est une réelle richesse, mais aussi une certaine complexité, un challenge, car cela implique une nouvelle manière de parler pour impulser des projets communs. Il s’agit de donner envie et que cela résonne chez l’ensemble des résident·e·s. Personnellement, mon rêve serait de parvenir à faire en sorte qu’à long terme, chacun·e devienne autonome et que le Château soit autogéré par les résident·e·s qu’il abrite.”
Comment rendre l’autogestion possible?
“On avance à l’instinct, en tentant de nouvelles approches. J’ai découvert récemment qu’imposer un format d’événement aux résident·e·s ne fonctionnait pas. C’est ce que j’avais proposé pour la Fête des voisin·e·s, où j’avais soumis un format de programme, ainsi que demandé à l’ensemble des participant·e·s de s’impliquer.
Pour l’anniversaire du Château, j’ai procédé autrement, de manière plus inclusive, avec d’abord une réunion d’information au sujet de l’organisation. J’ai même travaillé la méthode de co-construction avec un·e résident·e qui était force de proposition sur ces enjeux d’animation. La parole était ouverte pour évoquer l’événement, je n’avais pas proposé de format-type, et je m’étais interessée aux enjeux des membres. Elles·ils souhaitaient créer un réseau professionnel et réseauter. L’anniversaire a donc été l’occasion d’inviter et convier les acteur·rice·s du territoire, ainsi qu’un panel d’organisations ciblées par nos résident·e·s. Ainsi, j’ai pu répondre à plusieurs de leurs enjeux. Cette co-construction a permis que chacun·e s’investisse et j’étais présente pour coordonner.
Malgré le fait que cela soit parfois complexe de trouver ce qui rassemble, et même s’il y a des intérêts divergents entre les résident·e·s, on arrive à un consensus implicite pour créer de nombreuses synergies. On développe donc une vision fédératrice, ce qui en fait un lieu particulier où peut naître des projets inédits. Je dirais que c’est cela tout l’intérêt des tiers-lieux.”